AVIATION Magazine n° 258, 1er septembre 1958

A Saintes, Au R.S.A., l’attachante personnalité d’Henri Mignet

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         Et maintenant, Henri Mignet,, le grand Henri Mignet .Sur le terrain de Saintes il s’est écoulé des heures d’une ferveur religieuse, autour du regard clair, du regard d’enfant étonné, bouleversé, d’Henri Mignet. Autour de la bonté, de la simplicité de cet homme, qui est et qui restera l’un des plus grands créateurs _ l’un des tout premiers _ de toute l’aviation. Le rayonnement d’Henri Mignet dépasse les limites de l’aviation légère ; c’est l’aviation, toutes les aviations, qu’il illumine.

         Dès lors, comment vous parler du H.M. 350 et ceux qui suivront, car d’autres, très nombreux, suivront. C’est inévitable ou alors, l’aviation légère y perdra beaucoup. Ces avions, vous les trouverez ici, ornant ces pages à mesure qu’ils apparaîtront. Mais, si vous aviez vu, à Saintes, tous ces pilotes autour d’Henri Mignet, tous ces hommes cristallisés autour du regard clair, autour des souvenirs « Pou du Ciel », autour des souvenirs de bonheur qu’Henri Mignet créait en donnant _ EN DONNANT _ à tous ses petites machines ! … Tout le monde voulait parler à Henri Mignet, lui rappeler l’heure vécue sur l’un des cent terrains de France, et d’ailleurs, où il alla pour construire la joie des uns et des autres. Quant on discute d’aviation, on se passionne, et le ton monte. A Saintes, tous ces hommes venus des premiers jours de l’aviation de l’amateurs contenaient leur passion dans un ton mélancolique, le temps passé. Et Henri Mignet était là, s’émerveillant, s’attendrissant, un souvenir gai ou triste traversant le regard clair, étonnamment vivant. Henri Mignet était là, simple et bon, se donnant à tous. Pauvre cher grand Henri Mignet…

 

 

Vol avec Henri MIGNET 

De quoi s’agit-il ? Disait Lyautey qui, plaçant cette phrase au début de ses entretiens, voulait dès le départ lever toute équivoque.

Il s’agit, dans l’aviation légère, de voler sur des avions donnant le maximum de sécurité. Tout simplement. Performances ? Finesse aérodynamique ? Tout doit être subordonnée à cet impératif « Sécurité maximum ». Une logique rigide voudrait donc que l’on retînt un seul appareil convenant à l’aviation légère : l’avion le plus sûr. Mais ce serait méconnaître la diversité des esprits, ce serait aller contre toute nature, toujours, connaît les nuances. Aussi bien d’ailleurs, au cours des années, l’aviation légère a trouvé sa définition et la notion de sécurité qui lui convient est celle qui est concrétisée par le Jodel, « Emeraude » et autres avions similaires. Voilà pour le présent.

Est-ce à dire que l’aviation légère doive, de toute éternité, se cristalliser dans cette formule ? Bien sûr que non et Gatard a raison qui pense apporter une amélioration par la conjugaison de ses volets avec son plan fixe horizontal ; Jurca a raison qui veut permettre une voltige raisonnable aux pilotes peu fortunés. Henri Mignet a raison, qui apporte son H.M. 350, lequel résulte de trente ans d’études et de réalisations orientées vers ce but ultime et magnifique : la Sécurité.

L’aviation vit, donc elle « évolue ». Mais il faudrait s’entendre sur le terme : il en mutile singulièrement la signification celui qui, ici, fait de « évolue » et « accroît ses performances » deux synonymes. « Evolue » signifie ici « se développe dans des directions diverses », l’accroissement des performances étant l’une de ces directions. Dès lors Quérey, Wassmer et leurs collègues ont raison qui ont peaufiné leur avion et l’on équipé jusqu’à lui permettre la traversée de l’Afrique : ils satisfont ainsi à une nuance de l’aviation légère. Mais l’ingénieur belge Tips a raison lui aussi qui sort son  « Nipper » de tour de piste ou de très petit voyage : il sert une autre nuance de l’aviation légère. Et Henri Mignet a raison qui, avec son H.M. 350 veut permettre au plus grand nombre de connaître le bonheur. 

Ce dont je vais parler maintenant et qui concerne le pilotage est implicitement contenu dans ce qui précède pour qui veut réfléchir. Mais certains propos que j’ai entendus à Saintes m’engagent à insister. Il y a été parlé de « pilotage classique » (ce terme désignant le pilotage de la quasi totalité des avions, du Jodel à la « Caravelle », le manche et le palonnier en étant les éléments immuables) et certaines conceptions, prenant ce « pilotage classique » pour référence, considéraient avec méfiance le système de pilotage d’Henri Mignet (une seule commande, on le sait, pas de palonnier). Une question, à plusieurs faces : le pilotage du « Trident » (empennage monobloc, pas d’ailerons) entre-t-il dans la définition du « pilotage classique » ? Et celui des hélicoptères ? Et celui de l’ « Atar-Volant » ? Et celui des convertibles ? Et celui des machines de demain qui demanderont à des déviateurs de jets les moments de gouvernes dont elles ont besoin ? Où commence et où se termine le « pilotage classique » ? Le système manche-palonnier est-il une perfection absolue, définitive et doit-on rejeter à priori tout système qui s’en écarte ? Si Henri Mignet, par sa formule, permet au plus grand nombre de voler en sécurité, il faudra bien admettre que son système est bon, tout simplement. Or voilà un fait : Henri Mignet a plusieurs milliers d’heures de vol sur des appareils de sa formule. A Saintes, l’autre jour, Baron et Croses volaient tranquillement sur des avions Mignet.

Et voici un autre fait, j’ai été l’un des privilégiés qui l’autre jour à Saintes ont été conviés par Henri Mignet à voler avec lui. Mignet a fait le décollage et l’atterrissage et je ne peux rien dire de particulier. En l’air, alors que nous étions à 200 mètres, Henri Mignet m’a dit simplement : « vous allez voir ». Et j’ai vu l’appareil se cabrer, se cabrer fortement, enfin il a « salué ». Jusque là rien de très « classique ». Mais voilà qui ne l’est pas : pendant que l’appareil « salue », il est possible de stopper ce salut de le stopper net, comme il en est par exemple dans le roulis d’un tonneau à facettes) et l’avion reprend sa ligne de vol sans une oscillation. Pour n’être pas « classique », n’est ce pas extraordinaire ? Nous avons recommencé plusieurs fois la manœuvre, chaque fois ce fut la même netteté.

Essais de ligne droite : mes essais ont été médiocrement réussis, il m’était difficile de ramener l’appareil correctement, il repartait de l’autre côté, la gouverne paraissant donner une grande sensibilité en « lacet-roulis ». En fait c’est mon action qui était « surabondante », Henri Mignet, ai-je besoin de le préciser, tenant parfaitement sa machine. Essais de virage, est-ce la chance, est-ce une extrême bonne volonté de la machine, ils furent corrects. Vous direz que louper les lignes droites et réussir les virages n’est pas logique. Si vous voulez, mais n’oubliez pas que l’histoire de l’aviation a maintes fois démontré que certaines logiques qui se prétendaient rigoureuses et sans appel ont été démenties par les faits.

Ensuite renversements exécutés par Henri Mignet. Vais-je bien trouver les mots nécessaires, vais-je bien me faire comprendre ? Dans semblables évolutions, en avion classique, on éprouve, en quelque sorte, la sensation que l’avion « tombe » ; avec l’avion Mignet on a l’impression que l’avion « vole ». En d’autres termes il semble que, quelle que soit son assiette, quelle que soit sa configuration, l’appareil soit stable et manœuvrable. Henri Mignet, réellement, fait ce qu’il veut de sa machine. Me suis-je bien fait comprendre ? Très imparfaitement sans doute. C’est que, d’une part, Mignet ne pouvait pas faire voler chacun très longtemps et que, d’autre part il va falloir en quelque sorte fabriquer un vocabulaire de quelques mots particuliers pour définir le pilotage Mignet. Ce vocabulaire est nécessaire dès maintenant pour éviter toute équivoque. Il en a été ainsi pour l’hélicoptère : par exemple, le terme « temps de réponse » figure dans les manuels de pilotage des voilures tournantes, alors qu’on n’en sent pas la nécessité dans les manuels de pilotage « avion ». Les mots du « pilotage Mignet » se décanteront de vol en vol. Et il est possible que parmi eux figure l’expression « temps de réponse » ; il m’a semblé, en effet, que certaines oscillations de la machine se situaient entre celles de l’avion et celles des voilures tournantes. Est-ce exact ? Que peut-on rapporter d’un vol d’un quart d’heure sinon de simples impressions ?