Almanach de l'Aviation 1932

Comment j’ai conçu mon avionnette

 par Henri Mignet

  

         Voler ? Est-ce possible ? Cette machine qui se précipite, là-bas, dans l’herbe, qui fonce à corps perdu dans un fracas de tonnerre, va-t-elle quitter le sol ? Ses roues bondissantes s’immobiliseraient ? On verrait du ciel entre sa masse et l’horizon ? En effet, vrombissante, elle passe et disparaît bientôt en plein ciel… Mécanique maladroite, qui se traînait misérablement tout à l’heure pour prendre son vent, elle vient d’entrer puissamment dans son domaine.

         Voler ? Mon cœur tic-taque… Pourvu que je ne casse rien ! J’ai construit, ajusté, réglé. Le moteur tourne rond, la chaîne tient, le dynamomètre accuse la traction prévue ; tout est en ordre, cela doit décoller. J’enlève les cales, donne des gaz… L’avionnette obéit parfaitement au pied, vire, « prend son terrain »  à l’extrême bout du champ. Toute la sauce. Cela cahote ; l’envergure balance ; cela tape brutalement derrière… Plusieurs secondes et quelque chose de nouveau, de grave se produit : comme une voiture d’un mauvais pavage au macadam poli, la machine a pris une fixité spéciale, a basculé sur l’avant et ne touche plus que les bosses… L’herbe fuit, les bonds s’allongent… j’amène doucement le manche à moi… et c’est la glissade moelleuse, sur un tapis impalpable, tandis que la prairie s’enfonce.

           Sensation inoubliable, récompense de mes efforts, aboutissement de tant de rêveries ! Ai-je triomphé d’une grande difficulté ? Dois-je m’enorgueillir d’avoir réalisé un exploit ? Non. Je m’attendais à plus difficile et mon travail ne fut qu’un jeu de patience pour assembler entre eux quelques éléments simples.

         J’ai volé dans un avion construit par moi… je suis heureux !    

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         Comment j’ai conçu mon avionnette ?

         Voler était la hantise de ma vie, une obsession. Quelques « baptêmes » exaspérèrent mon désir.

         La vue d’une prairie plate, d’un beau nuage, ou d’un corbeau s’enlevant à grands coups de ses ailes bleues, me rendait malade. Etat pathologique. Il me fallait un remède.

         Acheter un avion ? Catalogues, lettres, forfaits de pilotage ? L’aspirateur de poussière à 900 francs, passe encore… l’avions à 60.000 balles… ça ne prend pas. Je désire une brouette, on m’offre un camion ! Il n’y a pas de petits avions sur le marché. Les avionneurs n’ont pas compris : fournisseurs des gouvernements, ils abstraient la conception commerciale. Le budget d’un aviateur est de 40.000 francs par an, et, quand il peut plier ses ailes, il lui reste encore 4 m. 50 d’envergure !  

         Construire un planeur ? Voici des plans de « Zögling » que j’ai achetés 100 marks en Allemagne. Camelote de pur style germanique n’ayant aucune qualité esthétique ni technique. Est-ce donc là le résultat vulgarisé de l’effort des laboratoires ? Profilage, finesse de pénétration, pureté de ligne ? Qu’elle est pauvre cette carcasse, cette ombre de planeur ! Et puis, qu’en ferai-je ? Pour l’utiliser, il me faut du monde, de l’aide bénévole, un caoutchouc, un treuil ou une voiture pour me remorquer et me lancer… En voilà une organisation ! Du sport cela ? Une véritable entreprise de patronage… Et je suis seul !  

         Pourquoi ne pas me fabriquer un véritable avion ? Est-ce impossible ? Etudions ce projet en détail.

           Deux problèmes à résoudre : difficulté constructive et budget.

           Je sais que des particuliers, sans bagage professionnel, en s’aidant de plans précis, ont réalisé de leurs propres mains des planeurs parfaitement solides. S’il doit y avoir difficultés, ce serait dans l’adaptation du moteur à ce planeur. N’est-ce pas là simple travail qu’un mécanicien de garage effectuerait facilement ?

           Le problème financier m’intimide davantage. Puisque les avionneurs offrent un avion en échange d’une fortune, c’est que cette marchandise doit comporter des matières premières de très haut prix, comme le vanadium, le bois de rose, des tentures de soie bleu-nattier et des porte-bouquets en baccarat… On ne peut, en effet, invoquer le prix de la main-d’œuvre, un avion, tout comme une vulgaire voiture, peut être construit en série ; il représente par essence même une qualité de matière très réduite (le biplace de l’avenir pèsera moins de cent kilos à vide), et enfin, à part le moteur, il n’est qu’un travail assez simple de carrosserie autour d’une armature élémentaire.  

         Supposons le problème résolu et cherchons un ordre de grandeur.

           Un planeur pèse environ 75 kilos. Le Français moyen autant. Admettons 50 kilos de mécanisme. Nous en voilà pour 200 kilos en tout. Consultons le tableau des performances suivant, que j’ai limé en compulsant des ouvrages sérieux et en collationnant les descriptions techniques de 80 avions différents d’après guerre.  

           Dans le domaine des « avionnettes » suivons la ligne qui caractérise un appareil pouvant plafonner à 4.000 mètres _ Cela signifie qu’il peut décoller facilement malgré un terrain raboteux et l’emploi d’une essence de mauvaise qualité. Nous voyons, par exemple, qu’un avion dont l’aile porte 15 kilos par mètre carré, exige un moteur d’une puissance telle que chaque cheval emmène 13 kilos. Conséquence : 15 kilos par mètre carré donnent une aile de 200 : 15 = 13 mètres carrés. 13 kilos par cheval donnent un moteur de 200 : 13 = 15 chevaux. Dans ces conditions, la vitesse maximum serait de 100 kilomètres-h. Vitesse économique : 70 – 80 kilomètres-h. D’après expérience, cet avion s’envole entre 40 et 50 kilomètres-heure.

           Ces qualités de vol concernant un avion dont la « finesse de pénétration » dans l’air est de 8 à 9, c’est à dire que, sans moteur, il plane 8 à neuf fois sa hauteur de chute. Ce sont des qualités médiocres, pouvant être détenues sans difficulté par un néophyte. L’initié, celui qui n’en est plus à son premier « coucou », ou celui qui serait guidé par des conseils autorisés, obtiendrait mieux, c’est-à-dire décollage, vitesse plus rapide, plafond plus élevé. N’exagérons pas. Allons vers des certitudes. Pour le moment, je cherche à « faire de l’aviation » et ledit « coucou » me suffit amplement.

 

         La moteur ? Voilà le grand point d’interrogation. Sans moteur, le meilleur avion n’est qu’une carcasse inerte, tandis qu’un mauvais planeur peut voler admirablement s’il est tiré par un bon moteur. Cherchons celui-ci. Où ? 15 chevaux ? N’est-ce pas la puissance des moteurs de motocyclettes modernes, catégorie 500 centimètres cubes ? La principale difficulté est résolue. Ouf ! A nous les performances !…

         Il s’agit à présent de s’en servir et de l’adapter convenablement. Raisonnons. Nous économiserons temps et peine.  

         Un moteur de moto 500 cmc. donne 15 à 17 chevaux, à condition de tourner vite, très vite, soit de 3.000 à 4.500 tours par minute. Il est inutile de prétendre, à ces vitesses-là, caler une hélice directement sur l’arbre moteur. Pourquoi ? Parce que, pour ne pas freiner le moteur à une vitesse plus faible, ce qui lui enlèverait des CV, il faudrait une hélice de diamètre réduit, moins de un mètre, par exemple.  

         Les purs techniciens vous assureront qu’en plein vol, à 200 kilomètres-heure, cette petite hélice rapide aura un rendement excellent, supérieur à tout autre… Mais je vous avertis qu’un avion n’est pas seulement destiné à voler : il faut aussi, et avant… qu’il décolle ! Si le terrain n’est pas un champ de glace poli, ou  une plage de sable fin mouillé, la petite hélice ne le décollera jamais ! Cette petite hélice crée derrière elle une trombe de vent qui vous coupe la respiration, mais elle tire à peine 25 kilos. Il nous en faut au moins 50.  

         Force nous est de caler l’hélice sur un arbre secondaire, lié au moteur par une transmission, de façon à ce que le moteur tourne à ses 3 ou 4.500 tours, vitesse à laquelle il donne bien toute la puissance prévue. Nous sommes alors libres de donner à l’hélice un diamètre compatible avec un encombrement acceptable : 2 mètres, par exemple. Elle tournera à 900-1000 tours et tirera 60 kilos bien tassés. Le rapport de démultiplication sera de trois environ, soit des pignons de 16 et 48 dents, que l’on trouve sur le marché. La chaîne de liaison sera celle utilisée par les grosses motos, soit le pas de 15 ´ 9. L’hélice et son pignon seront boulonnés sur un moyeu de side-car Harley, à moins que l’on préfère un montage sur tube de 30 ´ 35 mm. et roulement à billes, gorges profondes, faisant à la fois butée. On prendra soin de relier métalliquement (tubes 21 ´ 24) l’arbre d’hélice au carter du moteur, voir même aux culasses si des boulons s’y prêtent. Ainsi agencé, notre « groupe propulseur » va répondre efficacement à notre désir : l’hélice nous arrachera du sol en soixante mètres… A nous les petits terrains et la montée rapide .Vive la grande hélice démultipliée !  

           Budget ! Budget !! _ C’est vrai ; j’allais oublier. Eh bien, c’est merveilleux ! Que coûte un moteur de moto ? Neuf : quelque 3.000 francs. A nous de nous débrouiller. A titre d’exemple, l’Harley Davidson de 1000 cmc. pèse 50 kilos mais donne 20 CV. Il en roule 7.000 en France… qui, démodés, se vendent facilement.

          Quant au planeur, voici un relevé de factures des marchandises neuves :

 

2 roues………………………………………..fr.     440

32 mètres carré toile…………………………         260

Vernis cellulosique……………………………         200

Quincaillerie…………………………………… 200

Contreplaqué…………………………………… 300

Lattes et baguettes……………………………         400

Madrier d’hélice……………………………….      30

Divers…………………………………………….  170

 

         Total…………………………………..fr.   2000

 

         Sans chercher l’extrême économie et en employant des articles de très bonne qualité, moteur d’occasion révisé à neuf, nous allons pouvoir nous construire une avionnette qui nous coûtera beaucoup moins de 4.000 francs.

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           Le planeur. Il s’agit de concevoir un engin pratique et solide, tout en ayant de réelles qualités aérodynamiques. J’ai mon orgueil d’amateur, j’aime les choses propres, simples et plaisantes, autant à l’esprit qu’à la vue. Je ne veux pas que l’on se moque de moi et qu’on appelle mon avion : une pétrolette. Je suis Français, je veux faire œuvre originale et adapter d’une façon bien personnelle ce que l’expérience des savants a mis récemment au point. Comme je ne suis pas technicien, je vais m’organiser une bibliothèque bien documentée en périodiques et livres de fond, et extraire de mes lectures tout ce que je trouverai de bien, compatible avec mon adresse. Je n’aurai peut-être pas un superlatissime planeur-de-performances, mais « une bonne ordinaire petite avionnette ».

           D’abord, comme il peut se faire que l’état de mes finances, ou l’absence de la belle occasion, me fasse attendre le moteur, il faut que mon « coucou » soit susceptible de planer sans moteur et d’être facilement réglé, quel que puisse être le poids de celui-ci. Donc indépendance entre l’aile et le corps. L’aile sera posée sur le chevalet de la carlingue de telle sorte que la verticale du centre de gravité, en ligne de vol, passe au bon endroit par rapport au centre de poussée de l’aile. Ainsi mon avion volera aussi bien que le meilleur avion de l’industrie, à en faire blêmir Monsieur-le-Dessinateur-du-Bureau-d’Etude-de-la-Grande-Usine. Affaire de fil à plomb, cales et boulon de serrage dans l’un des trous prévus de la barre de chevalet. J’aurai un jeu de haubans pour l’avion complet et un jeu pour le planeur seul, s’il y a lieu.

           L’aile ? Il va sans dire que mon aile sera de type « Parasol ». L’être logique et raisonnable ne saurait adopter l’aile surbaissée, celle qui cache ce que l’on a le plus besoin de voir tant au point de vue sécurité que satisfaction des yeux : le sol en-dessous de soi. De plus, l’être vivant et conscient, non désaxé par la déformation professionnelle, répugne à se suspendre en l’air sous une frêle charpente travaillant en complet « porte-à-faux ». Je solidifierai mon aile avec quelques bons et solides haubans d’acier. Je volerai alors sans arrière-pensée que cela puisse craquer, et, à l’abri de l’ardeur solaire (cela tape sur le crâne à 2.000 mètres !), je verrai avec un immense plaisir se dérouler doucement sous mes roues la carte au relief grenu.

           La charpente de l’aile ? Il me faut un aile vite faite. Je suis un amateur, donc je suis pressé. Les armatures classiques comportent trop de ferrures, boulons, tendeurs, croisillons. 

  Il y a trop d’ajustage. Je vais m’inspirer de la méthode allemande (prenons chez autrui ce qu’il y a de bon), c’est à dire l’aile à Monolongeron, mais, au lieu d’utiliser le monolongeron comme bord d’attaque même de l’aile, ce qui demande des arrondis, des collages délicats… et incertains, je ferai un monolongeron carré, noyé dans l’aile. Ce sera plus «  amateur ». Ce longeron, énorme caisson de 18 ´ 18 cm. (poids : 15 kilos) est une poutre incroyablement rigide. Trois renforcements permettront la fixation de l’aile au corps par le chevalet et les haubans latéraux.

  Le profil de l’aile est matérialisé par 24 nervures enfilées sur le longeron tous les 32 centimètres et qui sont calées exactement par de petits coins de bois poussés à pleine colle. La forme de la nervure va déterminer les qualités de stabilité de mon « coucou ». Je veux un avion stable qui se pilote du premier coup et ne risque pas de s’engager. Au diable les courbures trop creuses ! J’aime mieux un profil assez plat, moins porteur, mais stable. Je choisis un profil à double courbure, c’est-à-dire dont la fibre neutre sera convexe en avant et concave en arrière. Sur cette fibre neutre-médiane, je me donne l’épaisseur nécessaire au passage avec jeu du longeron, et j’amincis la queue de nervure de façon que les couches dorsales et ventrales du vent viennent se rejoindre parallèlement, à la sortie de l’aile, comme pour les ailes des oiseaux. J’imagine que cela ne doit pas être mauvais. A 40 centimètres avant le bord de fuite, je passe une latte qui servira : 1° au charniérage de l’aileron ; 2° à rigidifier l’incidence de la voilure par un petit hauban supplémentaire, afin que le beau longeron carré ne subisse aucun effort de torsion. En effet, je place ce longeron dans ma nervure à un endroit tel que la poussée de l’air s’exerce toujours en arrière de son axe, quelle que soit l’incidence de l’aile.

 

J’adopte le bec de nervure pointu pour facilité constructive et légèreté. Le bec rond, s’il est nécessaire aux avions puissants volants sous incidence très différentes (grande vitesse ou grande montée), ne s’impose nullement à notre faible puissance massique commandant une incidence usuelle toujours proche du régime économique.

  Les laboratoires nous ont appris que les meilleures ailes devaient être à contour vaguement elliptique. Les bouts carrés ? Horreur ! Fini ! Oublié ! La profondeur de l’aile doit décroître considérablement, du centre vers les extrémités de l’envergure. En voilà une difficulté ! Je tiens à un travail facile, à une construction « standard ». Grâce à mes nervures aux queues amincies et à la présence d’un aileron qui tiendra toute l’envergure, je puis fabriquer 18 nervures en série sur le même gabarit et ne construire que 6 nervures différentes deux à deux sur 3 gabarits, qui appointeront l’aile de la plus agréable manière.

  Je n’ai pas ici à me préoccuper d’allongement, car mon avion est largement voilé et peu rapide : c’est un oiseau continental, plus vautour qu’albatros. 8 mètres d’envergure pour 1 m. 90 de profondeur suffiront, et mon aile sera peu encombrante.

  J’aurai une excellente stabilité de vol et annulerai pratiquement la tendance à vriller si je diminue l’incidence de l’aile du centre vers l’extrémité. Pour cela, nervures et longerons étant en ordre, je calerai les dernières nervures de série de manière que leurs queues relèvent de 4 centimètres au-dessus des queues de nervures centrales. Règles, cales, ficelles m’aideront à donner une symétrie parfaite aux deux ailes. Les faux longerons d’ailerons aligneront les autres nervures. Si mon aile monobloc est quand même un peu gauchie, le petit hauban arrière, par souplesse gagnera l’erreur. Si cela ne suffit pas, l’aile s’en chargera. Les nervures de l’aileron, excessivement simples, seront rognées de façon à dessiner l’ellipse (?) de bon rendement. Cet aileron, occupant toute l’envergure, permettra de modifier la courbure de l’aile, de la rendre ou très porteuse, ou très stable, à volonté, en agissant sur les deux câbles de commande à la fois.

  A ce propos, je ne veux que des câbles extérieurs, visibles, graissables et vérifiables. Des poulies ? des renvois de sonnette ? du mécanisme ? Point ! La commande sera directe, rectiligne de l’aileron au guignol de manche à balai, comme une sorte de hauban ; ainsi j’échappe à la terrible vibration d’aile et mon contrôle d’équilibre latéral sera plus doux que le meilleur montage sur bille.  

Enfin, quand je tournerai l’aile en longueur au-dessus du fuselage, pour le transport sur route derrière moto, je replierai l’aileron par-dessus l’aile. L’encombrement en largeur en sera plus que 1 m. 50.

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  Terminé, solide comme un bloc de ciment armé, mon aile est entièrement en bois, sans autre ferraille que les petits clous enfoncés par myriades pour presser le contreplaqué sur la colle pour le temps de son séchage. Voilà une aile idéalement simple, sans mécanique, sans rien que du bois et de la toile, que j’ai terminée, sans fignolages inutiles, en huit ou dix jours. Vive le Monolongeron !

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  Matériaux ? standard !! _ Simplifions avant tout. Ailes, corps et gouvernes ne comporteront du bois qu’en deux dimensions : lattes 20 ´ 30 millimètres pour les charpentes solides (longerons, couples) ; baguettes en 6 ´ 12 millimètres pour les petites armatures (nervures, etc.). Il y aura peut-être une ou deux autres pièces non « standard » que je prendrai dans du bois dur (hêtre, chêne, noyer), mais la totalité sera uniquement en sapin du Nord, le sapin de nos toitures. Un menuisier me débitera cela à la scie à ruban dans une poutre sans nœuds au fil à peu près droit. Si la scie est bien affûtée, il n’y aura même pas à raboter : les collages n’en seront que plus intimes. La liaison des lattes et baguettes est faite avec du contreplaqué d’Okoumé qui se trouve partout : 15/10 millimètres pour les voilures et le fuselage arrière, 30/10 millimètres pour la carlingue et les renforcements.

  Je me suis amusé à calculer toutes mes dimensions de bois un tiers en plus du coefficient de sécurité 7, afin de n’être pas en danger si , par hasard, un nœud ou un petit défaut dans le bois m’avait échappé.

  Le fuselage maintenant ? Suis-je timoré ou prudent ? Je n’aime guère ces avions montés sur de grandes pattes ; il me semble qu’un accident d’essieu doive brusquer la catastrophe… J’ai vu beaucoup d’avions en « pylone » voir même « sur le dos »… D’autre part, on voit de très belles réalisations d’ailes en « porte-à-faux » sans haubans, sans la moindre aspérité néfaste, d’une ligne très pure afin d’en accroître la finesse, mais dotée de toute une armature extérieure plus ou moins bien profilée constituant le châssis d’atterrissage… ö logique ! Mon essieu passera dans la carlingue, et ne sortiront dans le vent que les indispensables roues qui seront flasquées. En plus de la qualité aérotechnique, j’aurai aussi celle, pratique, de pouvoir atterrir sans risque dans les hautes herbes ou les blés. Le fuselage, bas sur le sol, du type « ventre-à-terre » n’aura pas tendance au capotage et un accident finirait par simple traînage sans conséquences ni teinture d’iode !

 

Un fuselage… c’est en somme une espèce de caisse d’emballage, mais comme le contreplaqué n’est pas cloutable sur lui-même, pour constituer les angles, les arêtes de la caisse, il faut intercaler une latte plus épaisse recevant le clou, lequel pressera sur chaque face une large surface de colle. Bien entendu (simplifions, même au risque d’être un tantinet lourd), le fuselage est entièrement en contreplaqué. Les quatre lattes constituant les arêtes viennent se réunir à l’extrême pointe arrière : un nœud de résistance portant l’équilibreur et qui demanderait un fameux « cheval de bois »  pour être rompu !  

La barre de chevalet support de l’aile s’appuie en arrière sur un prolongement du dossier du pilote, en forme de pyramide (suppression des croisillons de « cabane » et profilage de la tête du pilote) et en avant sur un A en tubes, boulonné à des tôles pliées.

  La pointe avant de la caisse porte de chaque côté deux brides serrant un tube transversal. Sur celui-ci, je ferai souder à l’autogène, au garage voisin, des ferrures adaptées au genre de moteur que j’aurai trouvé. En cas de vibrations, il sera facile de serrer le tube entre des tampons de caoutchouc, genre silent-bloc.

  Et, en attendant qu’un industriel nous sorte le groupe moto-propulseur se fixant par 3 boulons (pas 4)(ah ! si j’avais une usine !), je fixerai l’arbre d’hélice entre les sommets de l’A du chevalet et d’un autre A boulonné quelque part sur des aspérités importantes du moteur.

  Donnerai-je un beau capot d’aluminium entre le moteur et mon pare-brise ? Nous verrons cela plus tard, lorsque ma clé à molette aura cessé ses excursions entre le carburateur et la pompe à huile. Ce sera, en attendant, une petite entorse à la « finesse », quelques petits kilomètres à l’heure de moins, tant pis. L’essentiel est d’y voir clair.

  Le réservoir d’essence sera placé dans l’aile (vive l’aile en « parasol » !), en avant du longeron, entre les deux nervures centrales. J’entoilerai l’aile après (…). Il contiendra un peu plus que deux ou trois bidons de litres. Son bouchon : un étui de savon à barbe (10 gr., 6 sous). Un flotteur en bouchon (…), chaînette et perle, m’indiquera le niveau de combustible, dans un tube de verre. Tous mes raccords d’essence seront en durit (Pouah ! des tuyauteries et des soudures), que je changerai tous les ans. Un filtre, aussi indispensable que le casque et la ceinture, épurera l’essence juste avant le carburateur. Mamans ! Exigez le filtre, le casque et la ceinture !

  D’une stabilité parfaite, mon avion, qui me pilotera tout seul, aura un fuselage long ; soit 3 m. 50 ou 4 mètres entre essieu et étambot. Les gouvernes alors seront efficaces.

 

Empennage ? Mon « coucou » à grandes gouvernes et grandes ailes, par vent moyen, ne pourra pas, vent arrière, aller prendre sa ligne de départ. Il fera girouette ; il décrira des huit sur le terrain. Je vais, au lieu d’une béquille, lui mettre des roulettes orientables sur le même axe que le gouvernail. Ce dernier, léger, suivra les cahots du sol. L’arrière et l’équilibreur, plus lourds, seront parfaitement bien suspendus, tandis que les roulettes en lentilles s’enfonceront à demi dans le sol, dirigeant l’appareil en dépit du vent.  

J’ai une aile auto-stable, un long fuselage. Je puis me contenter d’un équilibreur sans plan fixe, d’une seule pièce (finesse totale améliorée), à courbure symétrique. Son pivotement ? Oh ! pourquoi chercher les difficultés ? Que m’importent les sourires en coin de Monsieur-le-Dessinateur ? L’équilibreur, immobilisé par des tendeurs dont l’alignement matérialise son axe de pivotement, oscille sur un doigt solidaire d’une ferrure boulonnée sur la pointe arrière du fuselage. Cela ne cassera pas !

Une superstructure pyramidale forme quille et porte la coulisse du gouvernail.

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En cas de pluie ou de rosée… Car il peut se faire qu’avec mon « coucou » je campe sous la tente, en pleine campagne, au hasard d’un terrain d’essai… j’enduirai ma carlingue, en dedans et en dehors, d’une double couche de gomme laque ou de peinture cellulosique, de celle employée en automobile. Ces vernis insolubles dans l’essence me laisseront, après un grand coup de chiffon, un « coucou » tout flambant neuf.

Je n’oublierai pas lattes, baguettes, colle et clous. Chatterton, ficelle et fil de fer ont sauvé des situations…

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_ Vous avez oublié l’hélice ! _ Ce délicat organe ne peut que sortir de chez le fabriquant spécialisé…Où avez-vous acheté la votre ? A quel prix ?

_ En effet, j’oubliais de parler de ce petit travail, sympathique et facile ! Raisonnons bien. Une hélice, c’est, en somme, l’aile d’un avion réduit volant dans un manège. La sustentation-avion, c’est la traction-hélice . Une hélice, c’est une palette de bois passée au papier de verre, qui attaque l’air, pendant le vol, sous une incidence analogue à celle d’une aile d’avion volant au régime économique, soit 3 à 4 degrés environ.

Si l’on calcule que la vitesse circonférencielle de la pale est, au bout du diamètre, de l’ordre de 200 kilomètres-heure pour notre hélice démultipliée, qu’elle n’est plus que de 100 au demi-diamètre et 50 au quart du diamètre, on voit, eu égard à la résistance de l’air qui obéit au carré de la vitesse (R=KSV²), que la partie intéressante du bout de bois est sa moitié extérieure : c’est l’aile proprement dite, aux courbures simples, qu’il est facile de suivre au rabot. Le reste constitue le moyeu et les bras, que l’on taille sous la seule préoccupation de solidité (force centrifuge) et esthétique (client).

Connaissant la vitesse de l’avion et la rotation de l’hélice, on dessine l’inclinaison de la pale de bout, à la moitié et au quart du rayon. Le traçage du madrier de hêtre ou de noyer est alors très facile. Après avoir saigné le bois de coups de scie pour faire sauter au ciseau les tranches de matière inutile, le rabot et la plane façonnent automatiquement le délicat organe du fabriquant spécialisé…

Mon hélice ? Elle m’a coûté, bois, dégrossissage et vernis, moins de 50 fr. Taille : un jour. Ma dernière porte le n° 14 ; elle n’est guère mieux réussie que le n°1. Aucun apprentissage n’est nécessaire, il n’y a l’ombre d’une difficulté.

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Et j’aurai construit mon « coucou » en quelques quarante journées de huit heures…  

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R .r.r.r.r.r.r.r.r.r.r.  

J’enlève les cales, enjambe la carlingue, m’enfonce dans mon baquet…

_ Eh là !

_ Tiens…Bonjour Georges Houard ! Que venez-vous faire ici, professionnel de l’indiscrétion ? On ne peut donc rien cacher aux « Ailes » !

_ Je viens m’accrocher à votre béquille, mon cher Mignet, car, tel que je vous connais, je vous crois capable de dépasser les limites de la propriété particulière où je vous ai déniché. Vous n’avez pas le droit d’en dépasser les clôtures sous peine d’être en défaut vis-à-vis du Service de la Navigation Aérienne.

_ Ah ! J’oubliais les officiels ! Alors ?

_ Mesurez-vous l’importance du problème que vous posez ? Votre construction est réussie ; il serait dommage de l’immobiliser. Vous seriez seul, qu’à la rigueur le ministre de l’Air autoriserait vos galipettes, aux heures creuses d’un aérodrome public…Mais vous voici quelques cinquante amateurs, cent bientôt, en France ; vos accolytes se préparent à l’étranger…Le problème devient international…

_ Evidemment ! Eh bien, voici une source nouvelle d’activité pour notre Service Technique de l’Aéronautique ! Un problème passionnant à résoudre ! Du nouveau enfin ! Il va falloir déterminer les règles du Sport de l’Air…Que dis-je ?…du code de l’Aviation légère, catégorie des moins de 100 kilos, dont L’avenir formidable dépassera les limites d’un sport

Admettez que nous soyons les pionniers de « Conscience Aéronautique ». Il est bien naturel…(et peut-être obligatoire) que l’ « Air » nous aide et facilite nos efforts, car, de tout cela…

  IL DOIT SORTIR QUELQUE CHOSE  

         Vérification officielle : Essais statiques, contrôle, observance d’un certain programme, immatriculation spéciale à l’Amateur, délimitation de ses zones d’activité ?…Rien que de très normal.  

         Et soyez certain que, tout à l’heure, lorsque je vous aurai arraché ma béquille des mains (car, vous savez…elle tire, mon hélice démultipliée !) et que j’aurai sauté de dix mètres la clôture de mon terrain, je n’irai pas faire des loopings au-dessus de la maréchaussée ni atterrir sur la place de l’Hôtel-de-Ville ! et prudemment, modestement, j’espère bien passer encore inaperçu, caressant mon dada favori sans nuire à personne, inoffensif, en attendant la solution légale du problème.

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         Maintenant, ami lecteur, te voici convaincu d’une possibilité. Accepte ces lignes somme de simples directives. S’il te plaît, mon HM 8, fruit de dix années de travail d’un amateur, n’y change rien, sous peine de surprises désagréables ; ou bien alors dessine, contemple et mesure les influences de chaque coup de crayon.

         Tu as un grenier, une cave, un petit coin d’atelier ; dans une caisse : chignole, rabot, lime, marteau…outillage commun à tout bricoleur. Il y a de la tôle chez le quincailler ; le fabriquant de moulures t’enverra lattes et baguettes. Tu n’iras plus au cinéma qu’une fois par mois et rompras définitivement avec le « pernod » et les « gitanes » du buraliste…En même temps que tes facultés mentales s’affirment, les 4.000 francs tombent dans la tirelire ! Un peu de patience, quinze mille clous et tu vas « faire de l’Aviation » ! Tu vas devenir le propriétaire incontesté d’un avion. Tu en poliras les tendeurs ; le moteur bien graissé, pur sang de mécanique moderne, en sera le cœur actif, lui donnant cette personnalité particulière d’un être vivant doué de caractère auquel tes réflexes devront obéir : il sera ton enfant et ton maître. Machine familière, susceptible d’être défendue, revendiquée, passionnément aimée, plus qu’on aime son chronomètre ou sa caméra, vieux compagnons d’aventures.  

           Des rêves dans le vide ? Des ambitions au ralenti ?

         Tu vas t’amuser follement ! Tu vas apprendre à conduire un moteur autrement que par la manette des gaz : gicleurs, poussoirs de soupapes, bougies, chaîne, compte-tours, clé à molette…

           Et tu vas voler pour de vrai : ton moteur, simple auxiliaire, va t’emmener sans descendre, sous ton aile brillante ; tu vas vivre la Vie-de-l’Air, t’assimiler les réactions de l’Atmosphère, longuement, à satiété. Peut-être même, rencontrant en vol des aigles, essayeras-tu de voler comme eux, moteur ralenti, et apprendras-tu à utiliser les turbulences du vent ?…

           Sciences aux modalités infiniment diverses. Avenir formidable aux conséquences insoupçonnées, dont tu deviendras peut-être l’Artisan Précurseur…

           Voilà des joies en perspective qui te dégraisseront les méninges !  

 

Voilà le Sport de l’Air !  

                                                                                                Henri MIGNET.

                                                                                                                                                                                      Sous la tente, quelque part en France, entre deux essais de l'HM 11

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