Une
expérience
Deux
mille kilomètres en seize heures de vol sur H.M.-290
Par Henri MIGNET |
Vous me
demandez ce que fut mon absence… aéronautique ? _ N’avez –vous pas
écrit récemment, à propos de l’Aviation de l’Amateur, le mot « Clandestinité » ?
_ Comment vais-je alors vous dire ce que je viens de faire, où je suis allé,
mes buts et le résultat de mon expérience ?
Vous me
dites que tout effort doit être connu et qu’on doit faire un rapport sur
toute activité…
Si je
me confesse, serai-je absous ou poursuivi ? Que va-t-il m’arriver si je
parle franchement, si je conclu mon voyage comme je l’ai exécuté, en fonçant
aveuglément à travers les conventions légales, comme si j’étais seul dans
un désert, sous l’impulsion de mon tempérament individualiste et réactif ?
Mais, au fait, est-ce que je ne vis pas tout seul dans le rêve expectatif de
l’imagination ? Au-dessus d’une foule de chics types ? Dominant un
monde de passionnés, le monde des amateurs…Tout seul, puisque seul j’ose me
permettre des excentricités, et que seul, peut agir ainsi le « Saint
Patron » !
Partir
Las de
tourner au-dessus de mes prairies, en-dedans de l’horizon plat de ma
Saintonge, j’ai senti le désir de changer le décor, quand je suis stable, je
m’ennuie. Ceux qui connaissent le malheur de ma vie, comprennent combien la
solitude morale me pèse.
Mon
moteur à 4 cylindres tournait rond ; mon tableau de bord bien garni
m’invitait à vérifier mes possibilités en P.S.V. _ j’allais être servi _ ;
ma belle hélice jaune étoilée paraissait adaptée à un régime de croisière
rapide…et mon réservoir était plein d’essence…
Qu’auriez
vous fait ? –Ce que j’ai fait ? Combien attirant et facile !
Qu’est-ce que voler ? _ C’est lancer l’hélice, chauffer deux
minutes, décoller et virer. Tourner en rond ? Bientôt insuffisant !
_ Et voyager ? _ D’abord, rêver sur une carte, tirer des caps au crayon
bleu, divisés de 10 en 10 minutes ; comprendre le relief, imaginer un
plafond insuffisant et le vent arrière… Et puis, cesser de tourner en rond,
mettre le compas sur le cap. Vérifier la concordance de la carte avec le
paysage que l’on voit doucement défiler du haut de ce petit balcon pendu au
ciel, immobile derrière un ventilateur, qui s’appelle un « aéroplane »…
Je suis
parti. Peut-on se cacher en l’air ? Mon appareil moins que tout autre. Sa
silhouette, au passage, n’a trompé personne. Il a décollé d’un pré ;
il est passé par dessus les fleuves, aux ponts coupés, par-dessus les
montagnes aux routes vermiculaires, par-dessus les vignes et les forêts. S’il
avait voulu, il traversait telle frontière qu’il aperçut, pas tellement loin
sous ses roues, posant encore un autre problème… Son ombre, cernée d’un
arc-en-ciel, a couru sur les nuages… Et puis il est rentré. L’avion est
petit. La démonstration est grande. C’est pourquoi je l’ai faite,
instinctivement.
Préparatifs
Mon lent objectif était d’ordre technique. Comment allaient se
comporter la cellule, le moteur, les accessoires, ma méthode personnelle de
navigation, les possibilités du petit bonhomme de 53 ans que je suis, le voyage
hors des routes aériennes en terrains discrets ?
Que sortirait-il de ce contact
d’après-guerre sur assez grande échelle avec un monde d’amateurs d’une génération
nouvelle ?
La préparation ? _
Jalonnement, par correspondance préliminaire, des escales sur des foyers
d’amateurs qui devaient planter au milieu du terrain choisi (20´200 m) une canne à pêche portant un ruban de 3 mètres, et m’assurer
un garage de 2 m. 50 sur 4 m.
Le parcours ? _ Un
large cercle sur la carte Michelin N° 99 : La France Méridionale.
Juillet. Soleil, blés récoltés, terrains discrets.
L’avion ? _ Le
prototype du « Sport de l’Air » HM-290 présenté par Les Ailes
du 20 avril 1946, dont la caractéristique essentielle est dans ses ailes
repliables en 60 s, amenant l’envergure de 5 m. à l’encombrement routier de
2m. 50 et immédiatement remorquable derrière une quelconque voiture de
tourisme. En trois minutes, l’appareil a disparu du paysage. Si nous étions
encore en guerre active, nous pourrions le baptiser « Avion-Maquis »,
ce qui situe exactement ses possibilités !
Le problème difficile ?
_ Le ravitaillement en essence, sans tickets…
Envol
Partir de Saintes, j’ai survolé la Gascogne, le Tarn, La
Montagne-Noire, la Camargue, Les Maures, la Durance, le Rhône, la Saône, Mâcon,
Nevers et Poitiers, utilisant en général les terrains privés de culture. Soit
2.000 kilomètres par étapes de variant de 100 à 250 kilomètres en 16 heures
de vol, non compris de nombreuses démonstrations devant des groupes
d’amateurs et de jeunes gens passionnés du sport aéronautique, que je voyais
sauter en l’air frénétiquement, alors que j’exécutais pour eux des
virages à la verticale en rase-mottes et des chandelles à renversement.
La vitesse exacte, contrôlée sur les étapes, par vent nul, fut de 135 kilomètres à l’heure. L’altitude de 1.800 mètres fut fréquemment atteinte, alors que j’étais handicapé par un moteur en rodage donnant 35 CV. effectifs, lourd par lui-même et imposant une forte charge d’huile pour le refroidissement de son carter, et par un appareil lourd de construction, ayant reçu de nombreuses évolutions à l’étude. Ainsi, en plus de ma charge utile, je pesais 46 kg de trop. Pour mémoire et compréhension, rappelons que le HM-18, équipé du Meugin 35 CV. Pesait à vide 120 kg. Envergures : 5 m et 3 m. Profondeur : 1 m. Il monta plusieurs fois à 3.800 mètres.
Pas
de difficulté pour tirer le H.M.-290, ailes repliées...
Vers
l’aventure
L’aventure, c’est l’événement insignifiant, ou grave qui
n’avait pas été prévu au programme. Quel voyage n’en comporte pas ?
Et quoi de plus fertile en aventures qu’un vol, jamais pareil au précédent !
Ainsi, je me suis trouvé quelque
part, hélice calée, cuve de carburateur dévissée, tombant dans un champ inévitablement
bordé de la ligne de force, m’imposant une évolution urgente où je faussai
un essieu. Un tube de réchauffeur de sous-marin allemand, trouvé chez un
quincailler et soudé par un Espagnol habile, rétablit l’envergure à
l’horizontale. Ailleurs, encore l’atterrisseur me réclama une tige filetée
que j’avais oublié d’emporter… rendant une réparation laborieuse.
Pourquoi ces incidents ? Parce
que, dans la précipitation des préparatifs de mon voyage, j’avais dû
m’interrompre pour réparer d’urgence une machine agricole, et un autre soir
faire salon avec des visiteurs tranquilles, en montrant un visage souriant
tandis que je pilais du poivre en dedans de moi-même. La révision du moteur
fut incomplète et la liste des accessoires mal observée. Moralité :
avant de partir, prévoyez les contretemps.
Combat
avec la "crasse"
Il fallu franchir la Montagne-Noire. Par temps clair, ses 1.000 mètres
d’altitude eussent été pour moi une petite excursion rendue enfantine par
l’ascendance de pente en cas de vent favorable. Ce matin-là, le nuage était
à 800 mètres, avec de grosses boules pluvieuses éparses, au sombre plafond.
« _N’insistez pas et revenez » me dit un pilote, au départ. Je
pris le couloir de Mazamet axé sur l’Est. Fonçant sur les pentes, en
quelques minutes, l’ascendance m’amena au plafond. Au col de Rodomouls, il
fallu entrer dans le nuage, cap au 130. L’aventure apparut aussitôt.
Tabassage. Etévé à fond de course. Tempête dans les haubans. Le compas,
tournant fou, n’indiqua plus rien. L’accélération grandit… Mais voici
l’aiguille du contrôleur de cap à font à bâbord. Je comprends. Coup de
manche dans le bon sens. L’aiguille revient au milieu. Je cesse de virer. Le
compas se stabilise. Tout rentre en ordre. J’allais, en perdant de
l’altitude, en plein sur la montagne… Il était temps que je me ressaisisse !
Ce fut un jeu de piloter l’aiguille du gyro en tenant le cap sur 130. La bille
et la vitesse critique n’intéressant pas ma formule d’avion, je pilotais en
P.S.V., pour la première fois de ma vie, sans initiation. Après 20 minutes, le
nuage s’éclaircit et se déchira soudain sur le grand soleil des vignobles de
Béziers. J’étais content d’en avoir fini. Mon vieux HM-18
35 CV eut traversé la couche en quelques minutes.
De même sur le Forez, au retour.
Ne pouvant trop tirer sur les gaz de crainte de monter la température de mes
pistons, pas encore bien rodés, j’ai dû suivre une vallée ; couloir
triangulaire entre deux pentes boisées et le plafond de nuages, avec en bas un
petit ruisseaux caillouteux ? Je voulais Montluçon. J’eus Nevers, à 80
km. au nord. Ce sacré Mignet n’avait pas reconnu au passage un filet d’eau,
qu’il s’imaginait aussi grand ici qu’il le connaissait à Tours ou Orléans…
la Loire !
…et
avec le marché noir
Une autre fois, le « Pou-du-Ciel » de Layat décolle, aux
environs de Lyon. Je pars à sa poursuite pour le photographier aile à aile,
confiant dans ma pression d’huile. Cinq minutes de vol. Vibrations. Hélices
calée. Pompe d’huile non amorcée. J’avais tourné à sec. Il fallut dégrouper
dans un garage de motocycles, d’ailleurs parfaitement outillé, pour changer
des segments, limer un piston, dévoiler 8 soupapes. Merci, Verchères, de Mâcon !
Le marché noir aurait pu me jouer
un mauvais tour. Pour vendre de l’essence au voyageur sans tickets, le
margoulin verse dans se citerne du pétrole à vente libre. Moyennant 90 francs,
on peut avoir 1 litre de liquide combustible. On est dépanné (?). Mais le
moteur, comprimé à 6, cliquète, chauffe et perds des tours. Ainsi, j’ai
passé les Alpilles. C’est en serrant les fesses qu’on acquiert l’expérience.
Il en fut autrement d’une
rencontre avec les Américains d’un Dakota en panne de moteur. Ils eurent de
moi de belles photos dédicacées et moi… je fis un plein complet d’une
essence à 100 octanes. Mon moteur en frétille encore de bien être.
_ Et le petit bonhomme de 53 ans ;
comment s’est-il comporté ? Tout autrement que prévu. Le pilotage fut
pour lui répit et diversion. L’oubli du monde dans une béatitude non définie.
La partie ne se compromettait qu’entre l’atterrissage et le décollage. Comment ? _ Par un « discutage de coup » ininterrompu et feu battant. Un interrogatoire de commissariat de police, jusqu’à épuisement de la victime. Le végétarien au régime dut esquiver les apéritifs et les vins d’honneur si gentiment offerts, pourtant ; mais les tomates, fruit acide défendu, le rendirent patraque et migraineux.
Une
génération nouvelle
N’allez pas croire que nous n’avons parlé que d’Aviation…J’ai
rencontré des artisans de tous ordres, originaux, rêveurs et désintéressés,
parfois bohèmes, sympathique sélection humaine qui console de la populace
hargneuse. J’ai dédicacé nombre de « sacrés bouquins » , usés,
crasseux, bourrés de lettres, de dessins et de photos : le vieil HM-8 ou
l’ancien « Pou-du-Ciel » refectionné, ou le « Sport de l’Air »
nouvellement entrepris. Tel postier convaincu, mais prudent. Tel instituteur
dont l’appareil va et vient du préau à la classe à mesure que les élèves
vont de la classe au préau… Celui-là, accessoirement à son obsession aéronautique,
fabrique des galons dorés pour sombréros mexicains, ce qui lui a permis de réaliser
un « Pou-du-Ciel » volant à merveille (nous avons volé de
conserve)… Celui-ci évolue entre les quatre infinis du Grand et du Petit,
dans le Temps et dans l’Espace : il est astronome. Il a 7 heures de
vol… Une moitié d’amateur fabrique des pianos ; l’autre moitié, aidée
d’une moitié d’ancien marin débrouillard, las du vieux coucou,
entreprend le nouveau pur-sang… Avec un artiste photographe _ et quelles
belles autochromes-stéréo ! _ J’ai fait de l’aquarelle, dans un cadre
charmant…Chez un autre, je vis des microbes au fond d’un microscope…
Cultivateurs, garagistes, employés, tous, excédés de leur gagne-pain
obligatoire, se réfugient dans leur commun idéal merveilleux !
Mon passage objectif a raffermi les
indécis, déclenché des activités, rassurés des inquiétudes, surcomprimé
les fanatiques ? pensez donc ! Le « prototype » de
leur dada était là, sous leur yeux ! En l’air ! Volant ! Et
de quel vol ! _ Une avionnette quelconque ? _ Non ! Une formule !
Quelle réaction, si je pouvais
ainsi parcourir toute la France !
Il naît une génération nouvelle,
conséquence de l’occupation ennemie. Il se lève une armée de jeunes qui,
avant peu d’années, construira de ses mains avionnettes et planeurs motorisés.
Marée montante souveraine ! L’aéromodélisme a déclenché la
possibilité artificielle d’une race particulièrement douée dans ce sens, et
diffusé dans le peuple le complexe de l’amateurisme. La science aéronautique
a pénétré la jeunesse et la conscience de la masse. Une chaudière sous
pression. On peut tout de suite s’occuper de canaliser cette puissance, économiser
son temps et sa peine pour aller plus vite, en préparant un contrôle, une
surveillance, des directives et une aide matérielle, le tout placé sous le
signe de l’optimisme et du bon vouloir. Conséquences nationales de grande
envergure. L’effort d’outre-Rhin au lendemain de Versailles !
Cette radiation, je l’ai sentie,
partout où j’ai posé mes roues.
Topez-là,
je m’incline
J ‘étais le spectacle. Eux, les spectateurs. Aussi bien
m’ont-il facilité la tâche qu delà de ce que j’escomptais. Parmi eux,
j’eus à l’étape l’essence, le gîte et la table. Cette randonnée vécue
par ces temps de contrainte, de marché noir et d’inquiétude politique, fut
une œuvre collective, une démonstration de l’esprit de corps, de la
solidarité aéronautique, une manifestation matérielle de l’existence
occulte, latente du Réseau des Amateurs de l’Air, dont les Les Ailes
ont répandu les noms des acteurs principaux, c’est Allard, Lacroix, Trussant,
Alquier, Saissac, Beaumont, Sangouard, Layat, Fellot, l’A.A.L., Crozes, et
tant d’autres qui me furent si dévoués.
L’enseignement psychologique
trouvé dans mon voyage est la connaissance du dynamisme débordant des jeunes
pour tout ce qui vole ; garçons et filles ; avionnettes et planeurs.
Confiance dans l’avenir ; certitude de pratiquer bientôt enfin leur cher
sport aéronautique.
Ma formule un peu « particulière »,
virant à la verticale avec « la bille toujours au milieu » (n’est
ce pas, Gallecier !) était avant tout pour eux des ailes qui descendaient
d’en l’air. Le bonhomme qui s’extrayait de sa carlingue, d’entre ses
cartes, ses valises et sa caméra, quelque peu assourdi et chancelant sur le
plancher des vaches, était regardé avec envie et admiration : le
Saint-Patron qui leur tombait du ciel !
Des pilotes descendant aussi de
leur avion, civils et aussi bien que militaires, de 25 à 30 ans, des jeunes,
curieux, regardèrent voler ce qu’ils ne connaissaient que par ouï-dire,
c’est à dire sous un aspect assez mal éclairé. Itinéraires difficiles, méthodes
de navigation et cartes, conception de l’avion privé pratqie,
l’infrastructure, furent nos sujets instructifs de conversation.
_ Je reconnais que ça vole, dit
l’un.
_ Topez-là, je m’incline, dit un
autre, me tendant la main.
Quatre
Aviations
Quatre aviations s’interpénètrent v : Le Sport Aéronautique et
le Vol à Voile ; les amateurs et petits artisans ; l’Aviation
utilitaire privée : l’Aviation commerciale et militaire. Le progrès de
l’une rejaillit sur les autres. Toutes sont la même pour chaque aviateur,
lequel a le droit à l’égalité de considération. Le plus petit n’est pas
le plus fragile et tel sectaire qui s’enorgueillit aujourd’hui, ne
contemplera peut-être demain l’Aviation que vue d’en bas… Pour le moment,
c’est l’amateur qui domine dans une aviation attrayante et facile.
Le public ne sait pas encore que
les mouvements atmosphériques sont plus favorables à donner de l’altitude
qu’à en perdre. Pour lui voler est encore dangereux. _ « Moins que de
rouler vite entre deux rangées d’arbres, ai-je répété, et l’air est
autrement plus libre que la route ! » L’ami dévoué Alquier me convoya
en voiture de Castres vers l’Est. Il roula de 4 heures du matin à 8 heures du
soir. Il arriva fourbu. Moi, frais et tranquille, je couvris les deux étapes en
3 heures et demie. « Voilà l’Automobile ! Voilà l’Aviation ! »
De ce monde passionné que j’ai rencontré, j’ai écouté les doléances :
_ 1° Les avions
modernes sont trop chers, et mal adaptés à l’utilisation privée ;
_ 2° Il n’y a
qu’une Aviation privée qui vole en France, celle des amateurs, mais on
extension est limitée par l’absence de moteurs, objet essentiel de sa vitalité.
De divers côtés, des artisans
capables préparent le 30-35 CV. que désirent les avionnettes. Dans peu de
mois, nous aurons l’embarras du choix à prix acceptable, de l’ordre de
1.000 francs le CV.
J’ai vu, à Lyon, le « Volkswagen »
adapté par l’équipe Fellot-Lacour, de l’A.L.L., foyer actif d’amateurs.
Prise directe ; 2.400 tours ; environ 27 CV. sans vibrations. Moins de
50 kg. Encore un peu lourd. Le problème fut la butée de traction d’hélice,
élégamment résolu par des rondelles acier-bronze huilées sous pression. On
pourrait lui fondre un carter adapté. L’amateur est provisoirement dépanné.
Le Vol à Voile ne l’est pas. Il
faut aussi un moteur au Vol à Voile, tout paradoxal que cela paraisse. Le
treuil et son utilisation coûtent cher. Un seul litre d’essence coûte
beaucoup moins et ferait voler beaucoup plus. Quel ingénieur daignera se
pencher sur le moteur du Vol à Voile ? Trois CV. tiennent un monoplace en
palier. Dix CV. assurent décollage et montée. Soit 20 kg., y compris réservoirs
et hélice-drapeau démultipliée, à fixer devant la carlingue par 2
serre-joints tel un hors-bord. 250 cmc. en 2 cylindres à soupapes latérales,
refroidi par l’air.
Que doit être le petit monoplan de
tourisme ?
_ Avant tout, un pur-sang, capable de performances évolutives et « percutantes dans le ciel » sensationnelles. Un avion de chasse en réduction. N’est-ce pas, pilotes militaires ? Dans ces qualités seulement est le charme du vol solitaire. Le HM-290, 30-35 CV., de 10 mètres carrés, donne cela, avec un risque nul.
Le
vent mène à la crête
Le moindre vent rend le vol en montagne très dangereux ou très facile.
C’est affaire de savoir d’où vient le vent pour n’être pas roulé par
les rabattants derrière les crêtes. Devant les crêtes, côté vent, on vole
en réduit, ou bien on gagne mille mètres en quelques minutes. Sport amusant
entre tous où l’on est pénétré par la joie de la domination. Un débutant
comprendra vte la manœuvre, mené en biplace par un pilote connaisseur.
Constatons que, du haut du désert du ciel, on voit rarement une fumée donnant
la direction du vent. Il faut donc approcher une crête avec attention, en
surveillant bien dans quel sens on dérive. Il faut que le vent vous emmène à
la crête.
La sécurité du vol en montagne _
pouvais-je supposer qu’il y eût tant de cailloux en France ! _ est
presque partout assurée par les champs cultivés du fond des vallées, de part
et d’autre des crêtes. Les endroits les plus mal pavés de mon parcours
furent moins la rocaille des montagnes que les grandes forêts de la plaine ou
du relief, où la descente est une perte matérielle certaine. Partout ailleurs,
le champ de foin ou de blé récolté existe entre les sommets, entre les
vignes, entre les marais. Méfions-nous des pâturages, ondulés, raboteux et
coupés de fil de fer ronce…
J’ai survolé de grandes fermes
isolées, reliées au reste du monde par des chemins de terre misérables.
Quelle révélation pour ces gens, que le petit avion ! Même problème
pour la colonie.
Satisfaire à la traversée des
montagnes, c’est résoudre le problème de la circulation aérienne. Du point
de vue du vol en France, il suffit de pouvoir monter à 2.000 mètres en 15
minutes et de s’y tenir au tiers de l’ouverture totale des gaz. 30 litres
d’essence ; 9 litres à l’heure ; 130 km. A l’heure ; 400
km. En 3 heures avec un petit peu de reste pour atterrir. Qui veut trop n’a
rien, et ce qui est possible tout de suite est déjà suffisant.
J’avais, pour bagages, 5 litres
d’essence de secours, 8 kg. De valise, 4 kg. d’outils, un repas froid, à
boire, et divers accessoires.
Lourd sur l’arrière, je décollais
la béquille en 35 mètres et les roues avant en 110 mètres ; encore 100 mètres
et j’étais en plein vol. Ma formule accepte favorablement la surcharge. Guère
plus de gaz au départ qu’à l’arrivée.
L’illusion
de la Liberté
Pressé de rentrer par une réunion de famille, et retardé par le
« discutage de coup » des amateurs, j’ai dû abandonner mon projet
de traverser les mauvais pavés de l’Auvergne. Je m’en excuse auprès de qui
m’attendait. L’oiseau part… on ne sait quand il arrive ! Tôt par
beau temps… moins bien par atmosphère récalcitrante. Ce sujet nous entraînerait
trop loin. Il est éternel. Je ne lui vois pas de solution décisive. Mais il
est, avec une machine bien vivante, la grande attirance, le charme principal, évocateur
et inquiétant, du sport de la navigation aérienne.
Le véhicule aérien existe.
Qu’on lui construise la route. C’est l’aérodrome tous les 20 km., la
pompe à essence et l’abri possible payant au carré couvert ;
l’atterrissage libre, tel une voiture rangeant le trottoir et, comme pour la
voiture, la carte grise et la carte rose.
Une longue liste rédigée pendant
mes vols va me faire corriger mon appareil. Mon carnet de route ouvert devant
moi _ écrire, c’est photographier la vie _ tient toujours vivante la récente
aventure. J’ai retrouvé mon atelier et ma planche à dessin. La solitude me pèse
moins, toute remplie de souvenirs.
Appliquée au bien-être de l’Homme
et favorisée par les hommes, l’Aviation donne à la Vie un charme et
l’illusion d’une liberté que, sans elle, on ne pourrait pas connaître.
Henri MIGNET
Retour
aux Vieilles photos de Pou du Ciel