Les Ailes n°1212, 23 avril 1949

Les Ailes, n° 1212, 23 avril 1949

 

LES TOURNEES DU DR. BARRET DE NAZARIS 

AVEC LES FIDELES DE LA FORMULE MIGNET

ET DU « PARACHUTE DIRIGEABLE »  

Le H.M.-290 révèle des qualités de vol assez particulières et assez étonnantes, des facilités d’atterrissage telles, que trois exemplaires de l’appareil vont être soumis à l’examen et au verdict du Centre de Brétigny.   

 

         Le « Cid » épousseté, a retrouvé l’éclat de son revêtement synthétique et le moteur, démonté après 100 heures de vol, a livré au mécanicien des viscères en excellent état. Aucune usure prématurée des segments, cylindres, soupapes, et, je dois le dire publiquement pour rendre justice à la maison Salmson, son nouveau réducteur s’est admirablement comporté.

         Me voici prêt, au début de la nouvelle saison, et j’espère que de belles randonnées me feront découvrir de nouveaux amateurs… de nouveaux amis.  

Sous le signe de la clandestininé…  

         Justement, je reçois trois procès-verbaux de visite R.S.A. concernant trois avions Mignet ; un H.M.-280 et deux H.M.-293 ou 294. Il y a tant de modifications de détails qu’on ne sait le numéro qu’il convient de donner. Quoiqu’il en soit, ce sont des appareils d’inspiration Mignet et ils sont signalés en état de vol. Enfin, je vais pouvoir me renseigner et voir.

         L’affaire n’est pas de tout repos.

         Armé d’un pendule, je rassemble tous les secrets de la radiesthésie et je prospecte la carte pour découvrir un lieu d’évolutions convenable et à l’abris de toute tracasserie. Je découvre un petit terrain « quelque part en France », sans tour de contrôle et bien discret. Et je prend rendez-vous.

         Je n’ignore pas que je me fourre dans un drôle de guêpier, un endroit très voisin de l’espace qui sépare le marteau de l’enclume.

         Les partisans de la « formule » vont me trouver tiède et les autres trop indulgent. Tant pis, je veux voir et dire exactement, objectivement, ce que j’aurai constaté « de visu ».

         Au jour et à l’heure dite, le Général Eon, dont la réputation n’est plus à faire, coiffé d’un béret orné de l’insigne des troupes parachutées, amène en remorque au lieu choisi un H.M.-293, ailes repliées, qu’il appelle « parachute dirigeable ». Et je reconnais l’avion de Rivière que j’ai visité l’automne dernier dans un petit village du Cantal.

         An quelques minutes, le voici prêt à s’envoler. Le Poinsard 25 CV. tourne rond et sans vibrations. Au poste de pilotage, est un homme auquel je dois garder l’anonymat, car il est trop connu. Je suis très intrigué par les petites roues de 26 cm. de diamètre. Comment vont-elles se débrouiller au milieu des taupinières ?

Photo parue dans Les Ailes n° 1218, 4 juin 1949

Un décollage

           Pleins gaz, face à un vent de 5 à 6 m./sec., atmosphère instable. Eh bien, ça ne roule pas trop mal ; l’accélération est même très convenable et, à 80 mètres du point de départ, je peux prendre en photo un appareil quittant le sol, légèrement cabré, volant au second régime et ne manifestant aucun désir de revenir au sol, ni aucune tendance au déséquilibre latéral. La vitesse est environ de 55 km.-h… Elle augmente et l’appareil vire avant d’avoir atteint la limite des balises.

         Il monte, évidemment pas très fort, à 1,50 m./sec. Environ, mais régulièrement, en continuant à virer. Le virage est même d’un rayon si court qu’on peut dire qu’à 600 mètres du point de départ, l’appareil est capable de passer un obstacle d’un hauteur égale à son plafond !

         A 100 mètres d’altitude, le pilote met son avion en ligne de vol, carlingue bien horizontale, et la vitesse se stabilise entre 100 et 110 km.-h. L’appareil paraît se comporter normalement : trajectoire bien nette, sans oscillations, sans bavures. Il effectue quelques virages à 45° dans un plan horizontal et dans un rayon inférieur à 50 mètres.

         On ne peut deviner l’absence des ailerons, tant l’inclinaison et le redressement sont corrects. Le voici qui pique à 30° vers nous ; il nous passe sous le nez à 130, redresse sans hésitation et, pleins gaz, remonte à 50 mètres à 45°. La chandelle se termine d’un coup de manche aussi efficace que s’il commandait des ailerons.

         Les évolutions se poursuivent, précises, serrées, sans presque quitter le terrain qui mesure 400 m. ´ 530. On ne peut d’acrobatie, l’appareil ne prenant aucune position qui ne puisse se rapporter à un vol normal.  

" Ca se pose partout "…  

         Ce qui frappe surtout, c’est la sûreté des manœuvres et le petit espace qui leur est nécessaire. L’habitabilité du pilote y est certainement pour beaucoup, mais il faut reconnaître que la cellule s’y prête particulièrement, et qu’elle utilise convenablement les 25 CV. du moteur, compte tenu des traînées parasites du tain d’atterrissage monté sur trièdre déformable et des mâts et câbles qui haubanent la voilure.

         Le vol de présentation se termine par une prise de terrain avec un angle de plané qui me paraît meilleur que celui des « Pou du Ciel » que j’ai vus jusqu’ici et un atterrissage parfait, trois points, à 60 km.-heure, arrêté en quelques dizaines de mètres. Cela m’aide à comprendre les photographies que m’a montrées le Général Eon, représentant un H.M.-280 posé ( ?) dans les positions les plus inattendues, sur des buissons, dans des ravins, atterrissages sans dommages et suivis de départs sur route après remorquage, ailes repliées, derrière une moto.

         Il faut bien convenir qu’il y a quelques chose d’intéressant dans cette cellule qui, tirée par un moteur acceptable, vous conduirait au bout du monde, sans risques, économiquement. C’est l’appareil idéal pour un commando…ou pour la contrebande ! Je vois frémir la moustache de nos douaniers en grève. Qu’ils se rassurent, la police de la circulation aérienne est bien faite. Il est plus difficile à un avion de circuler en cachette qu’à une couleuvre se glisser dans un buisson. Tout se fait.

         Et, d’ailleurs, voici deux avions qui nous ont repérés et se posent à côté de notre « parachute ».

         Allons-nous replier nos ailes et fuir ? Non, ce sont des amis curieux et, même parmi les fonctionnaires de la circulation aérienne, il y a heureusement des gens intelligents qui savent opportunément fermer les yeux. Notre pilote n’aura pas besoin de jouer les bandits masqués. Il va même reprendre l’air et je le filmerai en vol comme l’autoplan de Bourdin. Malheureusement, la turbulence de l’atmosphère n’a pas permis de prendre des vues aussi approchées que pour ce dernier et il sera difficile de comparer.

  Un seul juge : Brétigny 

Il est plus difficile encore de conclure, avant que cet appareil ne soit passé au Centre de Brétigny, muni d’appareils de contrôle et pilotés par d’autres mains. Loyalement, je dois reconnaître qu’il répond à une condition bien déterminée du vol et non la plus facile. C’est l’avion du vol de village à village, sans lequel la locomotion aérienne ne se répandra jamais dans la masse de la population. C’est la coin indispensable si l’on veut rompre le cercle infernal de l’avion rare parce qu’il est cher, et cher parce qu’il est rare.

Cependant, je pense qu’avant de le diffuser, il est nécessaire de le codifier. La mise au point de cet engin me paraît particulièrement délicate et moins que dans tout autre appareil, la plus petite fantaisie de construction et de centrage ne saurait être indifférent.

C’est, je crois, la pensée du Général Eon, qui présentera à Brétigny trois appareil différents ; on choisira le meilleur et des plans rigoureux seront établis, dont il ne sera pas permis de s’écarter d’un « iota ». C’est une idée pleine de sagesse et de promesse.

Notre pilote fut moins sage quand il voulu regagner son nid à tire d’aile. Ce n’est pas le temps, pourtant fort mauvais, qui le vainquit. Le moteur lui-même a tenu le coup jusqu’à la dernière goutte d’essence. Pour une fois, rendons-lui justice. Mais il est imprudent de se fier à un compas non compensé et, bien plus encore, de déterminer son cap en faisant orienter l’appareil au sol dans la direction approximative d’un but distant de 100 km. ! J’avoue que la méthode m’a « soufflé » un peu…

Le résultat a été une arrivée  en remorque après un atterrissage normal (!) à côté d’un laboureur, dans une région où je défie bien de poser sans casse n’importe quel avion homologué à ce jour par notre S.T.Aé.

  Où l’on reparle de Correctionnelle… 

         Tout ce qu’il risquait, m’a-t-il déclaré, était d’avoir besoin de bons offices de Maître Faugère devant le tribunal correctionnel. Même ce risque était limité car les juges commencent à comprendre et le talent de Maître Faugère s’avère invincible en matière de jurisprudence aérienne.

         Dernièrement, M. Leclère, le moniteur de Bergerac, avait observé d’un peu près une localité du Lot. Dans ce département, il y a de bons gendarmes, mais il y a aussi des « flics ». L’un de ceux-ci crut de son devoir de noter l’immatriculation de cet avion, ennemi public N° 1, et M. Leclère, comme votre serviteur, a dû s’asseoir au « banc d’infamie ». Mais les juges de Cahors, comme ceux de Jonzac, écoutent avec une bienveillante attention et un cerveau bien éveillé les plaidoiries de notre avocat aéronautique. Quelques phrases, bourrées d’arguments « massues » et d’éloquence, pulvérisèrent les évaluations télémétriques de notre flic atrabilaire et l’accusé fut relaxé sans frais ni dépens. Deuxième acquittement en Correctionnelle, cela commence à créer des précédents. A qui le tour ? C’est presque un plaisir !

         Et cela ne saurait tarder à survenir. Aujourd’hui, tous les avions d’amateurs volent. Les « Pou du Ciel » et leurs dérivés, qui passaient pour les engins les plus impropres au voyage aérien, ont singulièrement amélioré leurs qualités de vol et ne passent plus sur le dos (du moins en vol). Ils vont circuler et je serais bien étonné s’ils ne rencontrent pas les gendarmes à quelque coin de haie…

  Le "Pou" 1949 n’est plus le "Pou" 1934 

         Les progrès réalisés depuis les années héroïques de 1934 et 1935 sont le fruit de quelques modifications qui se sont imposés malgré l’entêtement du « Saint-Patron ». L’adaptation du profil 23012, à centre de poussée fixe, une meilleure répartition des charges alaires, l’abandon de la recherche d’une stabilité de forme au profit d’une stabilité de gouvernes mieux étudiée, et surtout d’une meilleure compréhension des règles constructives ont abouti à des résultats indéniables.

         Le centrage ne se fait plus à vue de nez. Les ailes ne se déforment plus et bientôt les amateurs qui fixeront leur choix sur un H.M.-293 pourront apporter à leur travail, non plus la hâte du provisoire, mais les soins patients et attentifs exigés par un ouvrage destiné à durer. Un avion ne se fabrique pas contre la montre pour être cassé en quelques heures. La masse des amateurs, ceux qui feront un nombre imposant et fort, ne construira qu’un seul avion dans leur existence. Ce sera le chef d’œuvre de leur vie et ils pourront sans crainte y consacrer le fruit de leur dures économies.

         A cet égard, le petit avion présenté par le Général Eon aurait mérité plus de soin pour sa finition. Je donne ici, à titre purement documentaire, ses caractéristiques : envergure : aile avant, 6 m., aile arrière, 4m. 50 ; corde : aile avant, 1 m. 20, aile arrière, 1 m. 20 ; surface : 11m². profil 23.012.

  Caractéristiques et réglage 

         Les ailes avant et arrière ont une partie centrale de 2 m. 10 et des bords marginaux repliables selon les plans du H.M.-290. La partie fixe de l’aile arrière a eu ses queues de nervures relevées en prolongeant la courbe de l’intrados et celle de l’extrados faisant une flèche négative de 20 mm. La partie centrale de l’aile avant est munie, de part et d’autre de la ligne médiane, de deux flettners de 0 m. 10 de profondeur, relevés négativement toujours selon la courbe de l’intrados.

         Il s’ensuit qu’aussi bien pour l’aile avant que l’aile arrière, le 23.012 est transformé en un profil auto-stable et que, lorsque l’appareil approche de l’angle critique, il se produit un « buffeting »avertisseur pour le pilote distrait.

         L’aile avant a un débattement de – 3° à + 12° et l’aile arrière est calée à + 9°.

         L’articulation de l’aile avant est à 22 % de la corde en partant du bord d’attaque.

         L’entreplan horizontal est de 0 m. 10 et l’entreplan vertical est de 0 m. 40.

         Il a fallu allonger la carlingue de 25 cm. et reculer l’aile arrière de 0 m. 15 par rapport au plan du H.M.-290. La béquille a été changée et on a adopté le système H.M.-8. Le gouvernail a été agrandi et épaissi.

         Le train d’atterrissage a été reculé de 22 cm. du premier couple du fuselage. Sans pilote, l’appareil, en position horizontale, est en équilibre indifférent sur ses roues. A vide, il pèse 150 kg. et, en ordre de vol, avec pilote à bord, est centré à 0 m. 70 du bord d’attaque de l’aile avant.

         Moteur : Poinsart 25 CV. entraînant une hélice de 150 cm. de diamètre et de 0 m. 90 de pas à 2.350 t./mn. Au point fixe et 2.450 t./mn. En vol. Les 2.200 tours sont suffisants pour une vitesse de croisière à 110 km.-h. Le décollage et l’atterrissage se font en moins de 100m. Un obstacle de 12 m. est franchi à 120 m. du point de départ arrêté et la vitesse ascensionnelle se situe entre 1 m. 50 et 2 m./s.

         Seul le Centre de Brétigny a la possibilité de dire si ces côtes et ces chiffres sont les bons et devront s’imposer avec force de loi.

         Attendons sagement et ne nous laissons pas emballer. C’est du temps gagné, de l’argent économisé et des certitudes pour l’avenir.

 

Dr BARRET DE NAZARIS.