Les Ailes, n° 1220, 18 juin 1949
UNE EXPERIENCE PLEINE D’ORIGINALITE ET D’INTERET
LE
"POU"-PLANEUR COSANDEY
Il a permis à
son constructeur de passer les épreuves des brevets A., B. et C. et de réaliser
en montagne quelques vols de qualité, le pilote assurant lui-même son propre
lancement.
Nous avons, il y a déjà pas mal de temps signalé les premiers essais et publié les premières photographies du planeur, formule « Pou du Ciel », construit en Suisse par M. Cosandey. L’appareil avait beaucoup intéressé nos lecteurs. Ils accueilleront donc avec plaisir cet exposé du constructeur sur la longue expérience qu’il fit de cette originale petite machine.
Construit
sans autre prétention que de faire du vol plané, ce « Pou »-planeur
a dépassé toutes les espérances de son constructeur qui a pu passer avec lui
le brevet C de pilote de vol à voile. Ce qui est particulièrement intéressant,
c’est qu’il a appris seul à le piloter sans utiliser ni treuil, ni sandow :
simplement en roulant sur une pente choisie en fonction de ses aptitudes au
moment.
Le bas de la pente utilisée permit d’apprendre
à rouler au sol, puis cette pente fut remontée petit à petit. Cette façon de
faire s’est révélée assez sûre par sa progressivité, a longueur du vol étant
fonction de l’élévation du point de départ. Le planeur était remonté à
la manière d’un funiculaire : une poulie était fixée au sommet de la
pente et deux ou trois équipiers tiraient sur le câble en descendant pour éviter
une trop grosse fatigue. Plus tard, un petit treuil actionné par un moteur de
100 cmc. supprima toute fatigue.
Un
saut de 1.450 m. d’altitude…
Une dénivellation de 50 m. peut suffire pour les débuts et permet l’étude des virages. Sur une telle colline, nous avons eu une activité de vol plané déjà fort sympathique et dans laquelle le nombre des participants se réduisait parfois à deux.
Après ces modestes débuts, il nous vint tout naturellement à
l’esprit de partir de plus haut. Ce que nous fîmes alors que je
totalisais…4 minutes de vol dont le plus long ne dépassait pas 30 secondes.
Un beau jour de février, notre groupement hissa donc le planeur muni de
skis au somment d’une montagne de 1.450 m. d’altitude, au prix de 10 heures
d’efforts exténuants, où l’on s’enfonçait jusqu’aux genoux dans la
neige. Le départ fut remis au lendemain.
Tout se passa à peu près bien. Quelques secondes de glissement moelleux
sur la neige et je décollai sur 600 m. de creux dans une nature montagneuse et
sauvage à souhait où je fis peut-être le plus beau vol plané de ma vie.
Cela dura…quelques minutes, mais qu’importe la durée : c’étaient
des minutes pas comme les autres !
Tout de même, la transition était un peu forte et j’eus la chance
d’avoir un temps parfaitement calme ce jour-là.
Puis, vint un entraînement plus sérieux, au treuil, et l’obtention
des brevets A. et B.
Mais
l’on devait faire mieux encore. J’avais repéré une petite montagne de 500
m. assez bien exposée à la bise et susceptible, sait-on jamais, de prolonger
suffisamment mon vol… Une nouvelle fois, l’équipe improvisée tira mon
planeur au sommet de cette pente par un beau soir de juin. La bise paraissait
bien établie, et je passai la nuit avec un ami fidèle sur une couche faite de
branches de sapin. Le lendemain matin, calme plat : plus un souffle !
Après avoir fait le montage du planeur, nous l’amarrons solidement et
redescendons vers la plaine. Peu avant midi, la bise reprend de plus belle et je
passe chez mon ami, qui ne peut malheureusement quitter son travail. Je me débrouillerai
donc absolument seul pour prendre le départ, ce qui n’est pas pour me
déplaire.
Au bout d’une heure et demie de marche, j’ai rejoint mon planeur. Je
l’amène en position de départ sur la pente, avec moult précautions, car il
n’est retenu que par une seule corde. Après une dernière vérification générale,
je m’installe à mon poste de pilotage et j’attend l’heure H, fixée à 14
h. 15.
De son atelier, mon ami pourra suivre mon vol à la jumelle. Est-il ému ?
Moi, je trouve les minutes terriblement longues. Mettez-vous à ma place dans ma
solitude, en position de piqué, devant un creux de 500 m., retenu par un fil à
la patte sur une monture qui trépigne d’impatience sous les caresses
plaintives du vent ! Enfin ce fut l’heure : de mon siège, je
larguai la dernière amarre. Quelques bonds sur le pâturage…et me voilà
crabant devant la pente pour mon premier vol de durée.
Au début, je me maintins tout juste un peu en-dessous du somment ;
par la suite, je gagnai quelques 200 mètres sur la crête en perfectionnant le
pilotage. Au bout d’une heure et demie, j’atterris impeccablement dans la
plaine, tout frémissant de joie.
La
construction d’un ski-lift sur cette même montagne me permit de l’utiliser
largement l’hiver. Le planeur muni de skis, les ailes fixées
longitudinalement sur la carlingue, avec pilote à bord, était accroché au câble
comme un vulgaire skieur et, en quelques 8 minutes, il atteignait le sommet sans
fatigue. Lorsqu’il n’y avait pas de vent, c’était un simple vol plané,
mais qui constituait un excellent entraînement aux atterrissages de précision.
Si le vent était bon, eh ! bien, on s’en payait une…bonne tranche !
C’était un véritable plaisir que de se laisser chambouler sur les
remous de la pente, tellement était grande la maniabilité de ce petit joujou.
J’ai volé dans cette région
montagneuse de la Gruyère pendant des heures par une bise atteignant 80 km.-h.,
et je puis affirmer qu’à aucun moment, je ne me suis senti en difficulté par
instabilité ou inefficacité des gouvernes. Bien au contraire, j’ai pu apprécier
à sa juste valeur l’avantage de l’aile vivante, véritable suspension aérodynamique
lorsque c’est « mal pavé ».
Latéralement, et sans ailerons, cela va sans dire, cela répond
instantanément. Trop, même, pour ceux qui sont habitués à l’inertie
transversale des grands planeurs, mais il suffit d’y aller doucement et trois
moniteurs de mes amis se sont adaptés sans difficultés à son pilotage
qu’ils ont trouvé agréable, précis et facile.
Caractéristiques
de vol…
Le décollage
en roulant sur une pente ne présente pas de difficultés particulières ;
il faut pousser carrément sur le manche au début, le ramener progressivement
tout en maintenant le planeur au sol le plus longtemps possible et se mettre
bien en face au vent avant de décoller.
En profondeur, la commande est très douce et se stabilise en position
normale. En piqué à grande vitesse (100 à 120 à l’heure), il faut
constamment pousser sur le manche, contrairement aux anciens « Pou du Ciel »
où l’on constatait une traction continue augmentant avec la vitesse. Cela
tient, à mon avis, à plusieurs facteurs : profil stable 23012 ;
absence de recouvrement des ailes, articulation à 24 % de la profondeur,
interaction négative (le bord de fuite de l’aile avant est aspiré par la dépression
dorsale de l’aile arrière).
Latéralement, par contre, la commande est très sensible, surtout
pendant la montée au treuil, par exemple, où il faut y aller centimètre par
centimètre…Cette montée peut d’effectuer sous un angle très prononcé,
mais alors il y a forte tendance aux lacets que de légères pressions sur le
manche, dans le bon sens, enrayent immédiatement. Dans la turbulence, le roulis
est assez fort à cause de la faible envergure du planeur, mais c’est très
supportable et sans inconvénient pour la maniabilité. En direction, c’est
une merveille, quelle que soit la vitesse de vol : cela obéit instantanément.
Mon gouvernail n’est pas excessivement grand (0 m.² 60), mais il a un profil
biconvexe à 10 % d’épaisseur et il se débat en arrière du bord de fuite de
l’aile arrière.
En résumé, je puis dire que les expériences faites avec ce petit
planeur ont été pleines d’intérêt et que les résultats obtenus ont même
dépassé mes espérances, grâce à l’extrême maniabilité et à la sécurité
de la formule.
Actuellement,
ses ailes équipent un H.M.-290 à moteur AVA qui ne m’a pas encore procuré
les satisfactions du planeur, mais je ne perds pas de vue celui-ci : un
fuselage neuf se construit qui remplacera l’ancien trop rafistolé et, si je
ne rencontre pas trop d’obstacles sur mon chemin, je l’amènerai volontiers
à Lyon au Rassemblement du R.S.A. où sa présentation intéressera
certainement beaucoup de monde.
En conclusion, je ne puis qu’encourager ceux qui voudraient en faire
autant : ils ne perdront pas leur temps et ça ne coûtera pas les yeux de
la tête. Il y a quantité de cellules H.M.-14, profil Mignet 2nde édition,
dépourvue de moteur et qu’on peut avoir à bon compte. Il suffit de faire un
nouveau fuselage, et voilà des ailes qui procureront plus de joies à se faire
épousseter dans les ascendances qu’à pourrir dans une grange…
Pour un tel planeur aux deux ailes de 6 m. et 4 m., il faudra centrer à
70 cm. du bord d’attaque (recouvrement 0), ce qui placera le siège du pilote
à la verticale de l’axe de pivotement de l’aile avant, ou même un peu plus
en avant suivant le poids des divers éléments. Si l’on ne veut pas faire un
volet à l’aile arrière, il faudra que les deux ailes soient mobiles en sens
inverse, à moins de qu’on adopte la commande système Marron, qui convient
parfaitement aussi.
L’épreuve des 5 heures est à sa portée : quel « Pouduciéliste »
la réussira ?
Louis
COSANDEY.