Les Ailes n°1223-1226-1236-1237-1239, 30 juillet 1949

Les Ailes, n° 1223, 9 juillet 1949

 

UN QUADRIPLACE HENRI MIGNET

 

           On apprend de Buenos-Aires que Mignet, qui est allé s’installer en République Argentine depuis quelques deux ans, y a réalisé un avion quadriplace. Cet avion, bien que son achèvement soit récent, totaliserait déjà, à l’heure actuelle, vingt-six heures de vol.

         C’est tout ce que l’on sait. A quelle formule appartient cet avion ? Nous l’ignorons. Mais il est vraisemblable qu’il découle de la formule chère à Mignet et dont la première expression fut « Le Pou du Ciel ».

         Nous aurons peut-être bientôt de plus amples détails.

 


Les Ailes, n° 1226, 30 juillet 1949

 

UNE LETTRE DE BUENOS-AIRES

 DEUX « POU DU CIEL » EN ARGENTINE 

Le premier est un monoplace à moteur Aeronca 35 CV. Le second est un triplace équipé d’un moteur Continental de 125 CV. L’un et l’autre réunissent les caractéristiques et les qualités de la formule d’origine. 

par

Henri MIGNET

 

  Que devient Henri Mignet ? Que fait-il en Argentine ? telles sont les questions qui nous sont souvent posées. Nous ne pouvons mieux y répondre qu’en publiant cette lettre de Buenos-Aires où le père du « Pou du Ciel » nous donne quelques clartés sur ses activités actuelles et plus précisément sur les deux prototypes qu’il vient de réaliser et expérimenter avec succès. Dans cet exposé, on retrouve le ton et le style de l’auteur du « Sport de l’Air ».

 

 

10 Juillet 1949 

       Voici plus de deux ans que je n’ai informé « Les Ailes » de mes activités aéronautiques. Je n’avais rien d’effectif à annoncer. Les projets, les démarches, le travail n’intéressent personne, surtout à une époque où le public veut son miracle quotidien. Sauf à ma famille et à quelques amis qui je recommandais le silence. J’ai peu écrit, puisque je n’avais rien à révéler.

         Aujourd’hui, c’est fait. Rien de vraiment extraordinaire, sinon la suite tranquille, parfois assaisonnée de ce qui est un but dans ma vie. J’ai mené dans les nuages mes deux premiers « Pou du Ciel » argentins.

         Le monoplace H.M.-294 (le dernier du R.S.A. à peu près à 100 %) est équipé d’un moteur Aeronca 35 CV., à deux cylindres opposés. Envergure, 5 m. 50 ; longueur, 3 m. 80 ; poids à vide, 160 kg. ; vitesse de croisière normale, 140 km.-h. ; autonomie, 4 heures.

         Le triplace H.M.-300 est un appareil provisoire d’étude et de démonstration, à moteur Continental 125 CV. Envergure, 7 m. 60 ; longueur, 5 m. 25 ; poids à vide, 380 kg. ; vitesse de croisière normale, 170 km.-h. ; autonomie, 4 h. 20 min.

         Cet appareil est le premier de ma formule si puissamment équipé. Pourquoi ? D’abord parce qu’il fut dessiné en triplace. J’aurai pu, à la fantaisie de mon crayon, poser un quadriplace sur ma planche à dessin. Et puis j’avais envie d’avoir dans la main un peu de cavalerie, pour voir comment cela ferait. Cela fit très bien, mais ce n’est pas indispensable.

         La ligne de vol pour une telle charge au mètre carré me donne une vitesse de croisière convenable. L’appareil est doux à piloter. La puissance que j’ai en trop, je puis seulement l’utiliser pour, soudain, « piquer » dans le ciel, ce qui est une grande joie sportive. La maniabilité est quasi la même que celle du monoplace, virevoltant sur place comme un papillon. « Se paroco a una mariposa », répètent les spectateurs. 

Réactions… normales 

         J’ai emmené des pilotes civils et militaires, pour connaître leurs réactions. Premier réflexe : le balancement en danseuse, que j’arrête aussitôt en posant doucement la main sur le manche (double commande). On regarde alors mon geste de stabilisation latérale. Aussitôt compris, aussitôt répété. C’est tout. En profondeur, plus vivant, plus précis que l’avion classique. Maintenant, virons court : regardez bien la bille : nous voici incliné à cinquante degrés ; la bille n’a pas bougé. En « Pou du Ciel », elle est inutile : toujours au milieu. Et votre corps tient son assiette comme un vol par calme plat. Puis je monte à trois cents mètres pour épargner le passager. Je réduis le moteur à mille tours et tire sur le manche.Cabré : « Ca flotte » mollement. Manche à gauche : le capot tombe sur la gauche, l’envergure s’incline, et le paysage défile sur la droite. Autant en sens contraire, toujours le nez en l’air…le paysage défile sur la gauche. En passant de la gauche vers la droite, le capot étant trop cabré, on a senti un petit vide à l’estomac : léger décrochage de perte de vitesse. J’ai vu une main s’accrocher à un tube de la toiture. J’ai ri dedans. Je coupe le moteur : petit plongeon, puis atterrissage tranquille sur la roulette arrière.

         Les deux appareils ont les pointes d’ailes rabattables, ce qui permet de les abriter facilement dans ce pays où il y a peu de hangars, ou de les mener par les chemins à bestiaux vers leur terrain de vol. Réellement, c’est très pratique. 

Impressions d’Argentine 

         Quel fut le passé de cette réalisation ?

         Le mot « Argentine » est un mot sonore, gai, vivant, attirant, évocateur au possible ! On imagine la Pampa aux horizons plats infinis, sous un soleil ardent, les gauchos faisant corps avec leur cheval au galop, le lasso tournoyant au bras, rassemblant des troupeaux innombrables…Le mur gigantesque et tourmenté de la Cordillère des Andes couronné de glaciers perdus dans les orages, l’une des plus hautes chaînes du monde. Cela, c’est le « Campo », les champs, la campagne, les chics types, les belles propriétés, la richesse du pays. Liberté presque totale de l’individu. Juste assez de gendarmes pour calmer les voyous, pas assez pour gêner les braves gens. Surabondance de tout ce qu’il faut pour vivre : viandes et cuirs, céréales, sucre (le pays des gâteaux). Maté : ah ! vous ne connaissez pas le maté, sucé bouillant avec la même « bombilla » à tour de rôle, en vrai calumet de la paix. Fruits européens et exotiques.

         Au Sud, les déserts plats ; au Nord, la forêt équatoriale fourmillant d’insectes, de vrais tigres dangereux, de crocodiles…Tous les oiseaux à chasser, tous les poissons à pêcher, la Nature plus forte que la bêtise humaine, plus forte que les politiques d’illusionnistes nées de la misère ou de l’orgueil. Pays peu peuplé, donc où l’on peut vivre sans travailler, heureux, tranquille, insouciant…Surabondance, vous dis-je. Le paradis des paresseux.

         Hélas ! ce n’est pas là que l’on peut fabriquer des avions. Ces avions dont a tant besoin cet immense pays parsemé de nombreux îlots civilisés, mal desservis par des routes à la terre fangeuse après la pluie, poussiéreuses après le soleil, se détournant des mers ou marécages intérieurs, et quasi impraticables…

         Aviation ? Industrie ? Métallurgie ? Mines ? Le sous-sol de l’Amérique du Sud vaut le sous-sol de l’Amérique du Nord. Comme là-haut, l’argent vient du « Campo » de l’élevage, de la culture d’une terre vierge merveilleuse à l’humus insondable et sans un caillou. Cet argent se concentre dans la grande ville où il circule de manière qu’il n’appartient pas, à moi, étranger, de juger. Je suis venu ici en voyageur de passage pourvu du préjugé favorable, mettant volontairement à la base de mes directives l’optimisme et la sympathie pour les hommes que j’allais rencontrer, quitte à changer d’avis d’après l’expérience acquise. Le temps a passé ; l’expérience s’est acquise. Dans la forêt vierge qu’est la grande ville, j’ai rencontré des serpents et quelques oiseaux de paradis. 

En évoquant Don Quichotte… 

« Argentine » ? _ Voyez donc plus tôt une jolie fille richement parée, assise à la table d’un cabaret…

         Vous connaissez Don quichotte ? Il s’est battu contre des moulins vent. Moi aussi. Il y a rompu sa lance. Moi, pas encore. Il avait des illusions. Moi, j’ai perdu les miennes. Je vois presque les choses telles qu’elles sont. Le jour où je ne regarderai plus les nuages, je serai sûrement un grand businessman. C’est à dire jamais.

         Heureusement, j’ai trouvé ici ce que je n’ai plus : la jeunesse et l’entrain. Je vis associé à un jeune. Don quichotte n’est plus tout seul. Alors les déceptions et les laideurs sont prises en riant : « Ca, c’est l’Amérique ! Ca, c’est le pays de l’aventure ! Les faibles y crèvent ! Les forts triomphent ! Peut-être les plus honnêtes, au bout du compte, sont les plus forts ! Allons ! allons ! Un peu de cran ! »

         J’ai dessiné des kilos de papiers-calques, rédigé d’épais dossiers, mis en ordre une documentation irrésistible, renforcée de photos, de films ciné, d’articles de journaux, de lettres enflammées d’amateurs, de cachets officiels. Tout cela va nous emmener de l’argent pour réaliser nos prototypes de démonstration, quand nous le montrerons à des personnages compréhensives ! Où est-il l’argent de l’Argentine ? Je le vois dans les vitrines où il coule à flots, partout. Pays d’importation, de commerce, de spéculations, de banque, de silos gavés de maïs et de blé, de frigorifiques chargés de fruits et de viandes…Mais l’argent liquide, où donc est-il dans ce pays qui doit absolument ajouter à sa vie agricole la vie industrielle, pour conquérir la liberté, la liberté chérie de l’indépendance économique, la vraie liberté de la Patrie ?…

         Nous avons cru le trouver, cet argent, mon jeune ami et moi, dans les rendez-vous et les promesses fixées pour demain. « Demain », toujours « Demain ». Vous l’apprendrez vite ce mot, « Manana » si vous venez un jour visiter l’Argentine. Dix fois plus que nous ne demandions…dont pas un centavo n’apparut jamais.

 Le miracle de la F.A.D.AM. 

         Alors, nous avons fait quand même le miracle ! Nous avons loué un atelier. Des meubles y sont entrés. Aux murs, des dessins et des photos des « Pou du Ciel » d’autrefois et d’à présent. Semaines d’attente inquiète. Et puis, un nouveau bond en avant. Voici une scie à ruban, une perceuse verticale, un tour à boîte Norton, des moteurs électriques, une large panoplie chargée d’outils à main. Tout cela bien neuf et bien brillant. Puis du bois, des tôles, des tubes, des clous, de la colle, de la toile, du vernis, et la soudure autogène. Rien plus ne manquait. Deux élèves d’école professionnelle, à temps perdus, vinrent nous aider. Trois milles kilomètres à motocyclette pour rechercher et quérir un vieil Aeronca 1931, unique exemplaire perdu au fond d’une province.

         Une nuit, deux camions emmènent ce produit d’une année de travail vers une estancia lointaine, elle aussi française, l’estancia de Paul Chovet où nous allions trouver, dans la bibliothèque, les collections Larousse, tout Jules Vernen J.-J. Rousseau, Musset, etc…en même temps que l’accueil désintéressé d’un ancien combattant de la guerre 1914, médecin-ambulancier de la première ligne d’Infanterie Coloniale. Sauf les pneus, les moteurs et les instruments de navigation, l’atelier de la société F.A.D.A.M. (Fabrique Argentine des Avions Mignet) avait achevé ses deux pré-prototypes. Premières aventure terminée. 

Essais façon « Pou du Ciel » 

         Chacun des deux appareils, tel qu’il était sorti de l’atelier, à peu de jours d’intervalle, passait la barrière du pâturage choisi comme aérodrome. Les fils de fer à quatre cents mètres devant. Vacances de Pâques. Nombreux enfants et parents. Pas d’hésitation possible. Yves Arrambide, mon associé, me lance l’hélice. J’enfonce ma tête dans mon bérêt, tire bien ma ceinture et pousse à fond l’accélérateur. Huit secondes ! Je suis en l’air. Le monoplace, un peu trop centré en arrière, le triplace un peu trop centré en avant. Vol de un quart d’heure pour bien contrôler les aiguilles du tableau de bord, très complet. A l’atterrissage, félicitations candides. Tout le monde avait trouvé cela naturel…et le dompteur n’avait pas été mangé.

         Deuxième aventure terminée.

         Depuis cinquante heures de vol sur les deux appareils pour fignoler la mise au point : bataille contre les pompes à essence, les joints qui fuient, les ressorts à régler, etc…Et aussi pour vivre en l’air, respirer ce ciel argentin si aéronautique, si traître parfois, mais toujours attirant. La jolie fille assise au cabaret…

 L’avenir ? 

         Et quel sera l’avenir de cette réalisation ?

         Je connais le passé. J’ignore l’avenir. Je ne suis qu’un voyageur de passage. Mon voyage n’a pas de limite imposée. Il peut être très long ou très court. Je commence à connaître bien, par moi-même et par mes amis, les deux Argentine : celle de la ville, celle du campo. Il y a les matériaux. Il y a les outils. Il y a des ouvriers très adroits déjà instruits et d’autres à instruire, à éduquer. J’ai une maîtrise qui n’attend plus qu’un geste…comme moi-même ; le geste du financier de la puissamment riche Argentine.

         L’épisode sportif est terminé. Les deux « Pou du Ciel » quittant leur nid de l’estancia aie, vont partir en vol de groupe vers une nouvelle destination, vers la nouvelle aventure, ou le nouveau miracle, dans le vent de ce pays attachant et curieux où un petit groupe de Français aidera peut-être encore à affermir un penchant admiratif prononcé du peuple argentin pour le charme intellectuel et le passé historique de notre vieille France.

 

Henri MIGNET.

 


Les Ailes, n° 1236, 8 octobre 1949

UN MONSTRE ARGENTIN : LE H.M.-300 

        Nous avons eu indirectement cette fois, d’autres nouvelles qui, en Argentine, poursuit ses travaux et ses essais. Ses deux « Pulga » (Pou) que lui-même a présentés dans nos colonnes, ont fait l’objet d’une démonstration en vol sur un terrain officiel en présence du Ministre de l’Air argentin. Le Ministre a suivi le vol de Mignet à bord de son bimoteur personnel et aurait manifesté un très grand intérêt pour la formule du chercheur français.

           L’équipe Mignet va d’ailleurs s’augmenter de quelques recrues de choix. Jean de La Farge a dû s’embarquer le 23 septembre à Bordeaux. On dit également qu’André Thomas, le constructeur en 1923, de planeur qui porta son nom et le réalisateur, en 1935, d’un « Pou du Ciel » qui vola admirablement, irait le rejoindre d’ici peu ainsi que l’artisan-mécanicien Lefèvre auquel on doit un petit moteur qui, avant guerre, donna de très bons résultats. Pour le succès de Mignet en Argentine, ce seront certainement là de précieux collaborateurs. L’exode de ces français n’en est pas moins une chose assez navrante…Il est vrai qu’il ne sera sans doute pas définitif.

         On sait que l’un des deux appareils argentins de Mignet est le triplace H.M.-300 à moteur Continental 125 CV. La bouche d’air de celui-ci est la même que sur le « Navion ». Le hasard de l’emplacement des deux trous destinés à ajouter un peu d’air aux premiers cylindres les plus chauds, a permis, avec un peu de peinture, d’obtenir ce masque, à la fois affreux et amusant…L’effet est, paraît-il, très curieux quand l’appareil passe à 10 mètres au-dessus de vous.

         La « casserole » est en bois et toile ; très légère, elle résiste très bien aux vibrations et tourne rond.


Photo parue dans Les Ailes n° 1237, 15 octobre 1949


Photo parue dans Les Ailes n° 1239, 29 octobre 1949

Pour d'autres photos, voir La campagne Argentine d'Henri Mignet